par Bruno Vever, le mercredi 04 février 2009

Présenté hier aux Français comme en faillite, l'Etat s'est mué aujourd'hui en une semeuse providentielle, ensemençant les cent départements de l'hexagone de mille projets sortis d'une nouvelle corne d'abondance, certes dénichée à crédit. On y verra les effets miraculeux d'une crise qui a terrassé le marché mais ressuscité l'Etat. Un Etat tricolore, omniprésent, équipé de pied en cap, avec son armée de préfets et de sous-préfets chargée de sauver notre économie hexagonale.


Sur France Inter, le ministre chargé de la Relance Patrick Devedjian a étrenné ses fonctions par trois déclarations donnant la mesure du nouveau climat. Pour commencer : pas de libertés sans l'Etat, auquel il revient de les organiser. Traduction libre mais logique : tout ce qui n'est pas autorisé devient interdit ! Pour continuer : quand vous importez, vous ne créez pas d'emplois. Commentaire : qu'en pensent nos importateurs, nos commerçants, nos prestataires de services et tous leurs employés, ainsi bien sûr que nos exportateurs qui ne sauraient produire sans importer ? Un journaliste téméraire hasarde alors une question : et l'Europe dans tout ça ? Réponse du ministre : ça fait partie de mon travail de me coordonner aussi avec nos voisins, et il le faut bien car la Commission de Bruxelles ne fait pas grand-chose.

On n'en saura pas plus sur cette coordination de nos mille projets avec nos vingt-six voisins européens. Il est vrai qu'un vertige menace s'ils en ont préparé autant : faudra t-il coordonner vingt sept fois mille projets nationaux pour la relance ? Préparons un peu d'aspirine et méditons cet aveu désabusé : la Commission ne fait pas grand-chose. Et c'est bien là le problème !

Fallait-il cinquante ans de construction européenne pour en arriver là ? On avait déjà remarqué, au cours des nombreuses émissions télévisées et radiophoniques consacrées ces dernières semaines à commenter la crise, qu'on y parlait de tout, des blocages de l'OMC à l'arrivée d'Obama, des travailleurs pauvres à la refondation du capitalisme, du renflouement des banques aux bonus de leurs dirigeants, mais que l'Europe brillait par son absence. Pas une référence, pas un appel, pas même une interrogation. « Le » vide, celui qui finit par faire réfléchir. Et ce à quelques mois des élections européennes, seulement annoncées par les bruissements médiatiques sur la disgrâce d'une Rachida Dati inscrite sur la liste UMP !

La fragile présidence tchèque du Conseil et la présidence en fin de course de la Commission paraissent s'être donné le mot pour attendre arme au pied la suite des évènements, faisant leur la ligne de conduite du président Queuille, cacique de la IVè : il n'est pas de problème qu'une absence de décision ne finisse par régler.

Face à une si mauvaise allocation des énergies, des talents, des rôles et des moyens, une question s'impose : que ne décrète t-on la mobilisation au seul niveau qui permettrait d'aborder efficacement cette épreuve économique et sociale qui nous frappe tous : l'Europe bien sûr !

Ces mille projets européens pour relancer notre économie commune, ils foisonnent autour de nous : rénover notre industrie européenne à commencer par l'automobile, s'assurer ensemble les moyens d'une énergie propre et sûre, moderniser nos réseaux de transports et de télécommunications, affirmer notre présence dans l'espace, assurer notre défense commune, nous doter d'une protection civile mobile et efficace, promouvoir une Europe de la santé et de la sécurité, revitaliser nos zones frontalières autour de nouveaux projets communs, développer un paysage audiovisuel européen, promouvoir une agriculture plus écologique, encourager une émulation qualitative de nos environnements de vie et de travail, etc. Et bien sûr mettre en place les services publics européens (mais oui !) et les réseaux et partenariats public/privé correspondants. Et toutes les sous-traitances croisées qui vont avec. Et tous les marchés publics qui en découlent. Mille investissements qui seraient autant de mises en commun et d'économies d'échelle, donc d'acquis nouveaux et d'économies tout court pour les Européens. Voilà qui pourrait rendre aussi l'Europe un peu plus populaire, ce dont elle a aujourd'hui grand besoin !

Ces mille projets européens sont autour de nous mais nous ne les voyons pas ! Aujourd'hui comme hier. En 1993, face à une récession bien modeste par rapport à celle d'aujourd'hui, Jacques Delors avait déjà proposé de relancer la croissance en finançant le développement et les infrastructures du continent alors en voie de réunification, avec un grand emprunt européen et des partenariats public-privé. Les gouvernements des Etats membres, par l'entremise de leurs ministres des finances, s'étaient alors empressés d'enterrer à la sauvette un investissement qui nous aurait pourtant rapporté gros. Depuis, leur seul point d'accord notable fut de pérenniser le maintien des finances publiques européennes sous la toise de 1% du PIB, sans possibilité d'échappatoire, tout en s'autorisant eux-mêmes des déficits budgétaires représentant de multiples fois ce montant.

Aujourd'hui, personne ne sait où vont ces Etats européens qui commencent à nous rappeler le sapeur Camembert ou la famille Fenouillard : quand les bornes sont franchies, il n'y a plus de limites. Où va-t-on en effet au-delà d'un déficit de 3% du PIB toléré par le pacte de stabilité de Maastricht ? Pourquoi pas 4, 5 ou 6% ? Une seule certitude. Viendra un moment où la dette ne sera plus remboursable sans artifice, c'est-à-dire en clair sans inflation. Mais ceci supposerait d'entrer dans d'autres turbulences, et pour commencer de passer outre à la Banque centrale européenne, donc de sortir de l'euro !

Attention danger ! Des politiques nationales désordonnées de relance vont inévitablement se pénaliser et s'annuler les unes les autres, dilapidant l'argent du contribuable, pénalisant les jeunes générations, ruinant le crédit de l'Etat et menaçant tous les acquis de l'Europe : l'euro, le marché unique, les institutions communes de Bruxelles, notre solidarité et nos positions dans le monde. On ne mettra pas cinquante ans à dégringoler toutes les marches gravies depuis un demi-siècle. Peut-être plutôt cinquante mois ? Dans le monde en crise d'aujourd'hui, la Nation sera d'autant plus en danger qu'elle se dissociera de l'Europe. Et elle précipitera d'autant plus son déclin et son échec qu'elle contribuera à ceux de l'Europe. Il n'est pas encore trop tard pour changer de cap. Mais, d'après ce qu'on voit déjà et ce qu'on entend déjà, il est assurément grand temps !


Bruno VEVER est consultant en affaires européennes et secrétaire général d'Europe et Entreprises 

http://www.europe-entreprises.com

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