Chypre et Malte rejoignent l'union économique et monétaire à partir du 1e janvier 2008. Après la Slovénie il y a un an, ces nouvelles adhésions portent à 15 le nombre de pays ayant adopté l'euro. Au cours des prochaines années, cet élargissement va se poursuivre vers l'Europe centrale et orientale, avec sans doute chaque année une ou deux nouvelles adhésions. L'UEM se trouve ainsi confrontée à une problématique qui a toujours été celle de l'Union européenne elle-même : l'élargissement face à l'approfondissement.
Aujourd'hui, c'est l'approfondissement qui a pris du retard. La succession des élargissements, accentuant les écarts de développement, les différentiels économiques et la diversité sociale au sein de l'Eurozone, fait craindre que ce retard ne s'aggrave. Un tel décalage ne pourrait qu'affecter la solidité de l'UEM. Il risquerait même à terme de compromettre sa durabilité. Car depuis l'entrée en vigueur de l'Euro en 1999, ses participants se sont trop installés dans des querelles internes, au détriment de nouveaux progrès.
La France et l'Allemagne ont montré le mauvais exemple au cours des dernières années. L'union monétaire n'avait été rendue possible que par un sursaut d'audace européenne de Kohl et Mitterrand succédant aux flottements d'après la chute du mur. Du coup, le plan Delors présenté antérieurement devint une feuille de route opérationnelle, avec le traité de Maastricht, et non un rapport supplémentaire pour les archives. Le poids croissant de la dette dans les deux pays les amena toutefois à sortir des clous du pacte de stabilité, et alimenter un débat interminable au sein de l'Eurogroupe sur un infléchissement des conditions de ce pacte, qui n'aboutit in fine qu'à des ajustements à la marge.
L'Allemagne demandait des accommodements plus que des changements. Malgré l'euro fort, elle a renoué depuis avec de meilleures performances économiques et reconquis le ruban bleu de l'exportation mondiale. Prise globalement, l'Eurozone est d'ailleurs aujourd'hui en excédent commercial avec le reste du monde. La France par contre a tardé à prendre le train des réformes et creusé son déficit commercial. Elle ressent plus fortement dans ses exportations le handicap de l'euro fort qui, contrairement à l'Allemagne, contrarie sa propre culture économique et focalise les critiques dans l'hexagone. On en oublie qu'il allège opportunément le coût de la facture pétrolière et des matières premières. La France ne cesse dès lors de dénoncer la gestion d'une Banque centrale européenne accusée, par une politique trop inflexible des taux d'intérêt, de sacrifier la croissance sur l'autel d'une stabilité jugée dogmatique et superfétatoire malgré le ressenti confirmé d'un renchérissement du panier en euros de la ménagère -. L'Allemagne ne peut que s'interposer pour défendre Francfort. Le couple franco-allemand est dès lors sur la touche et l'Eurogroupe au ralenti, laissant à Francfort le soin exclusif de conduire l'euro.
Pourtant, l'Union Européenne aurait plus que jamais besoin d'une "avant-garde", qui puisse lui redonner de l'ambition et de l'allant. Certes, le traité de Lisbonne signé le 13 décembre par les 27 met fin, sauf accident improbable dans les ratifications, à la crise institutionnelle qui pénalisait l'Europe depuis plus de deux ans. Mais il ne suffira pas à assurer un nouvel élan politique, surtout si l'absence persistante d'une gouvernance de l'euro donne le mauvais signal.
Pour engager cette gouvernance de l'euro, il faudrait que la France et l'Allemagne tournent la page de leurs querelles et entraînent leurs partenaires de l'Eurogroupe dans des initiatives significatives. Une mesure salutaire serait de ne plus laisser l'UEM aux seuls ministres des finances, rivés sur le court terme et sur leurs prés carrés. Les chefs de gouvernement devraient s'impliquer dans des Eurosommets réunissant les pays de l'euro, notamment la veille des Conseils européens. Les lois de finances des Etats devraient faire l'objet d'une préparation plus collective et mieux partagée. Un débat public, associant tous les acteurs socioprofessionnels entrepreneurs, syndicats, consommateurs - devrait se développer librement à l'échelle de l'Eurozone, sur un mode plus comparatif, avec l'appui de la Commission et des médias. L'Eurozone devrait aussi donner l'exemple pour l'harmonisation fiscale, notamment en définissant une assiette commune pour l'impôt sur les sociétés. Un socle social mieux défini avec les partenaires sociaux devrait contribuer à prévenir, par delà la liberté des capitaux, des délocalisations excessives au sein de l'Eurozone.
Il est enfin vital de mieux organiser la défense collective de nos intérêts, notamment face aux concurrences économiques exacerbées d'un yuan sous-évalué et d'un dollar à la dérive. Une représentation externe unifiée de l'euro avait été décidée
en décembre 1998 ! Les ministres des finances l'ont ignorée pendant près d'une décennie. Il aura fallu attendre le 28 novembre 2007 pour qu'une telle délégation de l'euro, enfin constituée avec les présidents Juncker de l'Eurogroupe, Trichet de la Banque centrale européenne et le commissaire Almunia, fasse ses premiers pas en négociant à Pékin à l'instar d'une démarche parallèle des Etats-Unis l'implication de la Chine dans un rééquilibrage monétaire international.
L'Europe a trop longtemps commenté de façon dissonante les rafales économiques et monétaires qui tourbillonnent autour d'elle, gonflent dangereusement la voile de l'euro et font craquer sa coque composite. Il est temps de prendre la barre en main !
Bruno Vever est consultant en affaires européennes et secrétaire général d'Europe et Entreprises.
http://www.europe-entreprises.com