par Alain Roulleau, le jeudi 03 janvier 2008

Le traité de Lisbonne a été signé le 13 décembre 2007 et va être ratifié par les parlements nationaux (sauf dans les pays où le référendum est obligatoire). Comme chacun l'aura bien compris, cette procédure permettra d'éviter le recours à la consultation populaire notamment dans les deux pays, la France et les Pays-Bas, où le projet de Constitution avait été rejeté, les 29 mai et 1er juin 2005.


Les apôtres de la légitimité démocratique ont eu tôt fait de crier à l'abus et au déni de démocratie. Comment ! Puisque des peuples ont rejeté un projet de Constitution, comment ose-t-on faire passer "en force" (et en douce) un traité dont l'objet semble être le même que cette Constitution dont ces peuples n'ont pas voulu ? Il semble dès lors clair que, pour éviter un nouveau suffrage négatif des urnes populaires, le souci des dirigeants européens de faire avancer l'Europe prime les intérêts des citoyens.

Un peu de réflexion apaisée conduit cependant à nuancer ces affirmations. Le " pseudo-mini" traité de Lisbonne est un véritable acte important pour l'Europe même si, par construction juridique, il est moins fondateur qu'une Constitution. Il est donc vrai que ce traité essentiel va être approuvé, certes par des représentants légitimement élus, mais sans l'aval direct de citoyens qui en avaient rejeté le contenu il y a moins de deux ans.

Mais parle-t-on vraiment de la même chose, ou en d'autres termes le traité de Lisbonne a-t-il pour première vertu de reprendre ce que certains citoyens européens ont rejeté ?

Rappelons un peu d'histoire. La Constitution avait un double objet : remplacer les traités existants par un acte unique, qui "refondait" réellement l'Union européenne dans toutes ses dimensions, et donner parallèlement à cette Union les moyens de fonctionner alors que ses élargissements successifs de 6 à 27 avaient rendu de facto impraticables les règles de représentation et de majorité élaborées à l'époque du traité de Rome. La Constitution n'apportait donc de véritable novation que dans le mode de fonctionnement de l'Union, se contentant pour le reste de recodifier des dispositions qui existaient déjà et qui étaient déjà appliquées.

Or le paradoxe a voulu que les citoyens qui ont rejeté le projet de Constitution l'ont fait pour de mauvaises raisons. Ils en ont profité pour exprimer leur désapprobation de la politique nationale menée par le gouvernement en place, ou ils ont critiqué qu'on leur présente, noir sur blanc, des principes sur lesquels était basée la politique européenne depuis de nombreuses années, et auxquels le projet de Constitution n'apportait aucun changement, ou encore ils ont confondu Constitution et discussion sur des projets de directive. On peut ainsi citer l'exemple de l'objectif de concurrence libre non faussée. Ce qui était un objectif dans la Constitution n'est plus qu'un moyen, qui figurait déjà de longue date dans le traité instituant la communauté européenne : subtil distinguo qui ne change pas grand-chose dans la pratique. Mais l'amalgame a été vite opéré avec les notions de libre prestation de service figurant dans le projet de directive qui arrivait alors à maturation : la Constitution, c'était la porte ouverte au plombier polonais qui allait venir prendre le travail des plombiers français !

Il ne sert aujourd'hui à rien d'épiloguer sur la communication désastreuse qui a entouré les votes des référendums français et néerlandais de 2005. En revanche, les Cassandre qui vilipendent aujourd'hui le processus d'adoption du traité de Lisbonne devraient davantage faire leur mea culpa sur le résultat de ce référendum et les raisons qui l'y ont conduit.

Jamais l'Europe ne s'était autant invitée à la table des citoyens européens. Jamais les objectifs du conseil de Laeken de 2001, qui préconisaient un rapprochement entre l'Europe et les citoyens, n'avaient été aussi près d'être réalisés. Enfin, les citoyens ont débattu de l'Europe, des avantages et des inconvénients de vivre dans une communauté, de ce qui rapproche et de ce qui différencie les Etats et les peuples européens. Pourtant, lorsqu'on a interrogé directement les citoyens, ceux-ci ont rejeté largement un texte alors que les innovations qu'il présentait ne changeaient pas grand-chose à leur vie quotidienne, parce que fondamentalement on ne leur avait pas expliqué avant ce qu'est l'Union européenne, ce qu'elle apporte et les nouvelles contraintes qu'elle introduit.

Si on prend l'exemple français, la notion d'Europe hésite entre la grande idée du futur et le mauvais prétexte. Vu du point de vue du citoyen électeur, les gouvernements successifs, quelle que soit leur tendance politique, ont concomitamment mis en avant l'Europe comme l'illustration radieuse du continent apaisé et l'empêcheur de vivre tranquillement à la maison… au point de promettre des baisses de TVA pour des raisons essentiellement électoralistes pour ensuite invoquer les réticences des autres Etats de l'Union pour expliquer pourquoi on ne pouvait pas tenir ces promesses !

Il aurait certainement été plus raisonnable d'expliquer à ces mêmes citoyens électeurs que les pays européens se sont engagés progressivement depuis les années 1950 dans un long processus de rapprochement qui est naturellement émaillé de compromis et qu'ils ont tous consenti à des abandons partiels de souveraineté dans des domaines divers (comme les activités pouvant bénéficier d'un taux de TVA réduit) dans l'intérêt commun. Ainsi mieux informés, ces citoyens peuvent valider de façon plus démocratique les choix de leurs gouvernants, et éviter les procès d'intention auxquels on assiste aujourd'hui.

Alors, si les Français et les Néerlandais se sont fait avoir, ce n'est pas parce que leurs responsables ont choisi de ratifier par voie parlementaire le traité de Lisbonne. C'est parce que, depuis cinquante ans, l'Europe se construit sans eux ou malgré eux. Heureusement, l'exercice est assez long pour penser qu'il n'est pas trop tard pour appliquer enfin les préconisations du Conseil de Laeken. Mais rapprocher l'Europe et les citoyens suppose d'abord d'informer et d'expliquer, en ne réservant pas le savoir "utile" à de petits cercles d'initiés.


Alain Roulleau est spécialiste des questions de retraite dans un organisme public. Il est l'auteur d'une note publiée par la Fondation Robert Schuman intitulée : "Les systèmes de retraite en Europe"   http://www.robert-schuman.eu



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