par Michel Theys, le vendredi 26 janvier 2007

Comme Beckenbauer ou Pelé, Michel Platini est de ces champions qui ne s'effacent pas une fois venu le temps de la décrépitude sportive, mais qui rebondissent et restent sous les feux de l'actualité. L'ancien meneur des Bleus brigue ainsi la présidence de l'UEFA. Cette élection dépasse, et de loin, le simple monde sportif. Au point qu'un jour, peut-être, certains pourront écrire que Platini a "fait" l'Europe comme un Jean Monnet avant lui. Explications…


Le 26 janvier prochain, l'UEFA – qui réunit toutes les Fédérations nationales de football d'Europe au sens géographique du terme – se choisira un nouveau président. "Nouveau", du moins, si Michel Platini est élu car son concurrent, le Suédois Lennart Johansson, occupe la place depuis… seize ans.

Entre l'ancienne vedette planétaire de 51 ans et le grand père nordique de 77 ans, ce n'est pas une pure et simple répétition du combat entre les anciens et les modernes qui se jouera : c'est un changement ou non de paradigme qui est en jeu. Ce sont deux visions du monde – et de l'Europe telle qu'elle se construit – qui s'affrontent. Rien de moins !

Dans un entretien qu'il a accordé au Figaro, Michel Platini indique qu'il "ne prépare aucune révolution" au cas où il serait élu. Ballon au pied, le meneur de jeu de la Juventus préférait souvent l'art de la feinte au passage en force. A l'approche du "rectangle électoral", il privilégie à nouveau l'esquive, mais qu'on ne s'y trompe pas : le but qu'il vise est bel et bien de marquer l'histoire du football européen. D'ailleurs, il s'en cache à peine, lui qui glisse : "L'Europe est mon univers. J'ai soulevé la Coupe d'Europe des nations ; j'ai tant de souvenirs liés à l'Europe et je suis convaincu qu'il y a quelque chose à faire dans le foot européen"…

Que veut Michel Platini ? Mettre de l'ordre et, plus encore, freiner les dérives : "il est grand temps de remettre au centre du football, qui est en pleine dérégulation, des vraies valeurs et des vraies règles. (…) Il y a des valeurs à protéger qui ne le sont pas forcément aujourd'hui". L'ex-star ne veut pas cracher dans la soupe mais précise, accusateur : "Je suis pour qu'on respecte une certaine éthique et que le business serve le football, pas le contraire".

En clair, Platini veut s'opposer aux personnes – à commencer par "les hommes politiques qui essaient de s'emparer de ce sport pour des récupérations électorales", ce qui ne plaira pas à tout le monde du côté de Milan notamment – et aux intérêts qui s'emparent de ce sport dans un esprit strictement lucratif et en arrivent ainsi à le dénaturer et à le couper de ses racines populaires. Pas question, par exemple, que les clubs les plus fortunés, regroupés au sein du "G14", puissent dicter leur loi en imposant une compétition européenne "de riches" qui leur soit réservée.

Le Français souhaite donc "muscler" l'UEFA et, partant, donner une nouvelle vigueur aux Fédérations nationales qui lui servent d'assise. A ses yeux, la dérégulation du football européen a commencé par l'arrêt Bosman de la Cour de justice qui a fait prévaloir de manière absolue, donc excessive, le principe de la libre circulation des travailleurs que sont les joueurs professionnels. A qui la faute si ce n'est aux dirigeants des fédérations nationales qui, trop longtemps, avaient géré leur petit monde du ballon rond comme si l'Europe n'existait pas ? Beaucoup de clubs, depuis, paient dramatiquement leur incurie…

Au Figaro, Michel Platini a aussi déclaré qu'il ne ferait pas comme Johansson "qui n'est jamais présent à Nyon, au siège de l'UEFA, ni à Bruxelles, où se joue peut-être l'avenir de notre sport". Voilà qui est clair. En caricaturant à peine, le Suédois symbolise l'approche libérale, anglo-saxonne aussi, selon laquelle il importe de laisser au marché le soin de se réguler comme il l'entend. Le Français apparaît, lui, par la posture qu'il adopte, comme le chantre d'une nouvelle réglementation, à l'échelle européenne, pour que la loi du plus fort parce que le plus riche ne soit pas toujours – et de plus en plus – la meilleure.

S'il est élu, la Commission européenne se devra donc de saisir la balle au bond : face à cet homme qui lui demandera de permettre que l'arrêt Bosman soit édulcoré dans son application afin que les jeunes joueurs européens conservent un minimum de débouchés, il lui appartiendra de prouver que, dans son esprit, "mieux légiférer" ne rime pas avec "ne pas légiférer".

Et puis, rêvons un instant. Platini se déclare "profondément européen". N'a-t-il vraiment jamais songé à un véritable championnat de l'Union qui, avec deux ou trois divisions européennes, viendrait chapeauter les vingt-sept championnats nationaux ? Au terme de la saison 2005-2006, la Première Ligue européenne aurait pu être composée du FC Porto, du FC Barcelone, de l'Inter de Milan, du Bayern de Munich, du Sporting d'Anderlecht, de l'Olympiakos, de Lyon… Le Real Madrid se retrouverait en Deuxième Ligue avec, entre autres, le Werder Brême, l'AS Roma, le Standard de Liège ou les Girondins de Bordeaux… Lille serait en Troisième Ligue européenne avec Hambourg, Benfica et Valence. Lens et Marseille joueraient, pour leur part, le titre en première Ligue française… Chaque année, deux clubs descendraient, deux clubs monteraient, tout comme dans les championnats nationaux actuels. Ce découpage n'exclurait personne – la Ligue des Champions actuelle pourrait survivre – et offrirait aux clubs les plus huppés et aux intérêts économiques qui les soutiennent une visibilité continentale hebdomadaire. Tout le monde y gagnerait donc.

Pour que ce rêve devienne réalité, il suffirait que les Fédérations nationales des Vingt-sept se structurent comme l'ont fait les Banques nationales pour donner naissance à la Banque centrale européenne et à l'euro. S'il ne préside pas l'UEFA, Michel Platini ne pourrait-il pas se lancer pour nouveau défi d'œuvrer à la réalisation de ce rêve qui lui permettrait à la fois de mieux encadrer le football européen et, aussi, d'amener beaucoup de citoyens à "penser européen par le foot" ?

Michel Theys


Michel Theys est journaliste spécialisé dans les questions européennes. Sa société, EuroMedia Services, est active dans les domaines de la presse écrite et audiovisuelle.

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