par Michel clamen, le lundi 15 décembre 2008

La Présidence française aura été marquée par l'inattendu (Géorgie, finance internationale). A un bilan technique appréciable s'ajoute la gestion efficace de ces deux imprévus de première grandeur. La réponse très volontaire de l'UE à la crise russo-géorgienne a permis d'éviter le pire, les risques d'une nouvelle guerre froide. La crise de la finance internationale a soudé l'équipe Europe, dont les initiatives ont montré créativité et solidarité.
Le style présidentiel, passablement énervant pour nos partenaires, ne doit pas éclipser le résultat essentiel : la cohésion européenne a été relancée et c'est à la Présidence française qu'on le doit.


La Présidence française qui se termine aura été une période importante pour l'intégration européenne. Pour la France, la responsabilité est tombée à un moment crucial. On savait dès le début que le non irlandais n'allait pas faciliter les choses; mais qui aurait pressenti que ce parcours allait être marqué par des imprévus de première grandeur ? Qu'il s'agisse de l'épisode russo-géorgien ou des cahots de la finance internationale, les évènements ont réclamé en Europe un guide fort et dynamique, capable d'interventions qui exigeaient un large degré d'improvisation. La France s'en est tirée à son honneur, avec des succès qu'on n'aurait pas osé espérer.

Ces secousses imprévues, et les réponses apportées, ont éclipsé un bilan appréciable sur des thèmes plus techniques. L'Administration française a ainsi recueilli le fruit de son travail minutieux de préparation sur de nombreux dossiers, sous la direction de M. Jouyet, cheville ouvrière du fonctionnement « ordinaire » de l'Europe pendant toute cette période. En témoigne par exemple le « Plan climat ». Certains ont pu trouver qu'il n'allait pas assez loin (mais comment interdire à la Pologne de continuer à brûler son charbon ?) Cependant, un point fort demeure : à Poznan, l'UE a pu parler d'une seule voix.

Ces réussites, à elles seules, auraient en temps normal assuré à la France la considération de ses partenaires. Deux évènements majeurs sont venus se superposer.

En août, le Conseil européen s'est vu confronté à la crise russo-géorgienne. Après quelques perplexités bien naturelles, l'intervention très volontaire de son Président a donné ce qu'on pouvait espérer de mieux. Présence continue et propositions positives ont évité le pire - une nouvelle guerre froide, même si l'équilibre obtenu reste encore fragile ; et même si, parmi les Vingt-Sept, certains ont eu le sentiment que tout allait trop vite. Mais « s'il fallait attendre que tout le monde soit d'accord pour bouger… »

La crise financière a révélé, elle aussi, une Europe capable de former une équipe. La vertu des crises, c'est qu'elles rassemblent. Le Président a su en jouer, susciter et animer le travail en commun, prendre les bonnes idées là où elles étaient, quitte à abandonner ses positions idéologiques. Lui qui s'affirmait naguère comme partisan du « moins d'Etat » a , paradoxalement, engagé les Etats de la zone euro dans un interventionnisme inattendu mais opportun. Ni l'Eurogroupe, toujours timide, ni même la BCE n'auraient pu en faire autant. Du coup, les initiatives de l'UE, confrontées à la faiblesse des USA, ont fait apparaître par contraste sa créativité et sa solidarité. Au G20, les deux blocs ont pu parler à égalité.

Quant au problème irlandais, la concession accordée - de taille, il est vrai – a permis de rallier ce gouvernement à l'idée d'un nouveau referendum. Reste à décider le peuple.

Au total, à ces trois occasions, la cohésion européenne a été relancée ; c'est à la Présidence française qu'on le doit. Le tout dans un style passablement énervant pour nos partenaires, qui n'ont pas l'habitude d'être ainsi brusqués.
D'abord, le niveau d'activité : à ce qui avait été programmé de longue date sont venues s'ajouter les deux dossiers brûlants. Du coup, le Conseil a subi un foisonnement d'activités tous azimuts ,à la limite du supportable.

Ensuite, la méthode adoptée, qui est largement celle du fait accompli. Bouger avant que chacun soit d'accord n'était pas, jusqu'à présent, la voie la plus habituelle en Europe et, en matière économique, prendre très vite des mesures à effet massif n'est pas conforme à la culture de tous – Allemands en premier.
C
ertains malveillants ont pu souligner sans risques que les procédés de la Présidence française ne souffraient ni d'excès de précautions diplomatiques, ni d'humilité monacale. Arguments ad hominem, qui ont leur part de réalité, mais ne font que souligner le revers de qualités pertinentes en situation de crise : dynamisme, réactivité, énergie à la manœuvre, lucidité pragmatique, volonté d'aboutir… Ces vertus que M. Barroso, toujours diplomate, qualifiait d' « impatience positive » ont donné au Président français - les observateurs les moins indulgents ont dû en convenir – une dimension bien supérieure au pantin frénétique des caricaturistes.

Quand la France ne sera plus à la Présidence, comment vont réagir nos partenaires ? Vont-ils craindre que la construction commune retombe dans la routine paralysante ? ou bien se trouver heureux de pouvoir souffler un peu ? Ce n'est pas à nous de dire si la Présidence française leur manquera. Mais, incontestablement, elle aura marqué un moment fort.





Michel CLAMEN est Professeur à l'Institut Catholique de Paris 

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