La présidence française de l'Union européenne s'achève et les interrogations quant à la nature des rapports avec la Russie demeurent. Les étroites relations que Nicolas Sarkozy et Dmitri Medvedev ont ostentatoirement nouées ne peuvent occulter le fait que la Russie est en passe de redevenir un problème de sécurité pour l'Europe. Ainsi la guerre russo-géorgienne de l'été 2008 a-t-elle confirmé les craintes suscitées, au fil des ans, par le comportement des dirigeants russes. Par voie de conséquences, les fondements du partenariat Russie-UE se dérobent.
Texte publié en partenariat avec le Comité de liaison et de solidarité avec l'Europe de l'Est (colisee.org).
Une brève rétrospective montre le caractère chaotique du partenariat UE-Russie. Signé en 1994, à Corfou, l'Accord de Partenariat et de Coopération (APC) tarde à être mis en uvre. Il est ensuite complété par un « dialogue politique et de sécurité » et un « dialogue énergétique » (2000). De grandes ambitions sont affichées mais les dirigeants russes refusent de ratifier le traité sur la Charte de l'énergie (1994), un cadre juridique propice aux investissements extérieurs et à la libre concurrence. La Russie n'entend pas sacrifier ses monopoles sur l'autel d'une grande entente continentale ; outils de pression et de coercition, les exportations énergétiques renforcent le pouvoir national total russe. Très vite, la relation russo-européenne périclite, d'autant plus que Moscou est hostile à l'élargissement de l'UE vers l'Est (2004).
Tensions et rivalités retentissent sur le partenariat. Pour contourner les difficultés et dissocier les questions, les négociations sont réorganisées autour de quatre espaces de coopération (économie ; liberté-sécurité-justice ; sécurité extérieure ; recherche-éducation-culture) mais le « pragmatisme » affiché ne peut congédier le réel. L'APC arrive donc à échéance, le 1er décembre 2007, sans être refondé ; cet accord est depuis mécaniquement prorogé. Après un blocage de dix-huit mois, la négociation est ré-ouverte lors du sommet de Khanty-Mansyik, le 27 juin 2008. Les forcenés de l'optimisme veulent alors croire que le nouveau président russe est un libéral qu'il faudrait épauler, pour qu'il l'emporte sur les « durs » du Kremlin. A Khanty-Mansyik, les divergences sont patentes. Alors que les Européens entendent négocier un accord précis et détaillé, les Russes ne veulent pas d'un texte « alourdi par des points concrets ».
La « guerre des cinq jours » (7-12 août 2008) et l'invasion russe du territoire géorgien viennent d'autant plus compliquer la tâche que l'UE est désormais engagée sur le terrain avec le déploiement de 225 observateurs au contact des territoires séparatistes (Abkhazie et Ossétie du Sud). Clairement stipulé par les accords Medvedev-Sarkozy, le retour au statu quo ante est une fiction : la Russie a reconnu l'indépendance de ces territoires (une annexion de facto) et doublé sa présence militaire. Elle interdit l'accès aux régions conquises. Aussi les pourparlers ouverts à Genève (15 octobre 2008) sont-ils dans l'impasse et la question ne manquera pas d'interférer dans les futures négociations UE-Russie. Il serait illusoire de penser pouvoir mettre entre parenthèses un épisode guerrier qui confirme la dérive autoritaire du régime russe et son agressivité extérieure, observées depuis plusieurs années.
Au vrai, la renégociation du partenariat UE-Russie n'est pas la priorité du Kremlin, bien plus occupé à diviser les partenaires et alliés de l'ensemble euro-atlantique. En effet, la mutualisation des politiques étrangères et énergétiques des Vingt-Sept ne pourrait que contrarier la volonté de puissance de la Russie et ses dirigeants ne veulent pas d'une Europe une et entière, à même d'agir collectivement. Un tel ensemble remettrait en cause la transformation de la CEI en une forme d'Union eurasiatique fonctionnelle, intégrée et russo-centrée. Le mépris affiché à l'encontre de l'UE, entité post-moderne vouée à la dispersion, ne saurait dissimuler l'appréhension que suscite cet ensemble, autrement plus inquiétant au final que les Etats-Unis, du fait de la contiguïté géographique.
Les Européens sont donc amenés à réviser les représentations géopolitiques qui fondaient la quête d'un partenariat avec la Russie. Dominait initialement la vision d'une Grande Europe de l'énergie et de la logistique, de Lisbonne à Vladivostok. La Russie y jouait le rôle de périphérie vouée à l'approvisionnement énergétique de l'UE, Bruxelles exportant en retour son savoir-faire, ses technologies et ses normes. Cette vaste entreprise d'ingénierie devait donner corps à la « maison commune européenne », expression manipulée en son temps par Iouri Andropov, reprise ensuite par Mikhaïl Gorbatchev pour mettre sous perfusion l'URSS. La Russie de Poutine ne s'est pas ralliée à cette vision fonctionnelle des modes d'organisation de l'aire géoéconomique Lisbonne-Vladivostok. C'est là une opposition de fond et non point un « malentendu » auquel un actif « dialogue » pourrait remédier.
Depuis août 2008, les données de base des relations russo-européennes ne sont donc plus les mêmes. La Russie post-soviétique était perçue comme un partenaire difficile mais « gérable » ; elle est désormais un problème de sécurité qui conduit à réviser les concepts stratégiques occidentaux. Ce faisant, les dirigeants russes ont aussi invalidé leur projet de « pacte de sécurité » paneuropéen et la teneur des débats au sein de l'OSCE rend improbable l'organisation prochaine d'un sommet sur les questions de sécurité, de Vancouver à Vladivostok (réunion d'Helsinki, 4 décembre 2008).
Les réalités politiques et stratégiques prévalent, la diplomatie française se défausse et les « story-tellers » refluent. Quant aux négociations UE-Russie, elles sont soumises au « stop-and-go », sur fond de paix froide, l'axiomatique de l'intérêt ne suffisant pas à fonder un véritable partenariat géopolitique. Le passage de la Russie-Soviétie à la Russie-Eurasie ouvre d'autres perspectives. Dans l'intervalle, les frontières et l'influence des instances euro-atlantiques auront été élargies à leur hinterland continental. Cela est bel et bon.
Abstract
The French presidency of the European Union is ending and the questions about the nature of the relationships with Russia remain. The tight relations, which Nicolas Sarkozy and Dmitri Medvedev ostentatiously established, cannot conceal the fact that Russia is becoming again a security problem for Europe. Thus, the Russian-Georgian war of the summer 2008 confirmed the fears aroused by Russian leaders' behaviour over the years. Consequently, the foundations of the EU-Russia partnership are challenged.
Jean-Sylvestre Mogrenier est chercheur à l'Institut Français de Géopolitique (Paris VIII) et chercheur Associé à l'Institut Thomas More