Tout le monde en convient, le projet européen est daté historiquement. Sous-produit de la seconde guerre mondiale, il est surtout le produit de la réflexion d'hommes et de femmes visionnaires respectueux du temps, mais a-t-il encore un avenir ?
Posée autrement, la question est la suivante, le projet européen est-il toujours "vendable" politiquement à des sociétés plongées dans l'instantanéité et la futilité ? Des sociétés qui fuient la raison pour se refugier dans la consommation impulsive, l'émotion collective et une gestion hédonistique du temps présent.
Si l'homme analogique craignait les ravages de la guerre, l'homme digital a pour principale peur la perte de son Smartphone. Dans ce contexte, caractérisé quelque part par une culture de l'insignifiant, existe t'il encore une place pour un projet politique supranational d'essence humaniste ?
L'Europe s'est toujours construite autour d'un débat d'idées porté par des hommes politiques mus par de fortes convictions personnelles, fussent-elles anti-européennes. Aujourd'hui, force est de constater la désertion de l'arène européenne par les politiques. Le débat d'idées n'existe quasiment plus. Un exemple parmi d'autres, la Stratégie de Lisbonne, décidée en mars 2000, se révèle neuf ans après totalement inopérante, qui s'en émeut ? Personne, même pas les portugais
Aujourd'hui, le développement des technologies numériques favorise lentement mais sûrement la disparition de l'Europe des radars politiques en privilégiant une nouvelle forme de communication politique purement informationnelle et émotionnelle.
Nous allons assister dans les prochaines années à l'émergence d'une nouvelle démocratie dans laquelle l'important ne sera pas de débattre mais simplement de communiquer. D'ailleurs, les hommes politiques commencent à le comprendre. Après une réelle réticence, ils réalisent qu'en définitive, sous réserve d'en maitriser les usages, ils n'ont rien à craindre d'espaces numériques ouverts à la communication mais fermés au débat.
De fait, l'homme politique, à défaut de jouer avec les idées, va devoir jouer avec la technique. Sa légitimité sera désormais appréciée à la lumière de ses réponses à cette double question existentielle "Tu es où ? Qu'est ce que tu fais ? ". Ce faisant, le temps politique va se caler avec une précision toute horlogère sur le temps communicationnel, le temps de l'éphémère.
Demain, la norme pour un homme politique qui se respecte sera d'avoir son blog, d'avoir des comptes dans tous les réseaux sociaux et de twitter frénétiquement pour expliquer à la planète entière où il est et ce qu'il fait mais surtout pas de débattre !
Débattre deviendra au fil du temps une activité politiquement très incorrecte voire incongrue pour ne pas dire déviante à la limite du comportement antisocial. C'est vrai, qui n'aime pas la planète ?
L'Union Européenne dans cette nouvelle démocratie part avec de réels handicaps. En effet, non seulement elle est l'enfant légitime d'innombrables débats depuis plus de cinquante ans mais de surcroît elle n'offre aucun point de fidélité, ne propose aucun écran plat, n'est l'objet d'aucun buzz et pis que tout elle est totalement «old-fashioned » avec ses cohortes de représentants officiels en costumes gris et au teint anémique, bref pas très sexy. Si on ajoute une communication institutionnelle débridée dont on peine à comprendre la finalité, il y a matière à s'inquiéter sur la future appétence des citoyens européens pour les questions européennes.
Certes, la Commission Européenne, gardienne de l'intérêt général, pourrait ouvrir un compte Twitter pour montrer qu'elle existe et qu'elle participe à la construction de notre futur. Mais serait-ce judicieux ? Sincèrement, je ne le pense pas car cela permettrait à tous les digitaux du monde entier de contester son action en moins de 140 caractères sans jamais débattre
:-) .
Xavier Grosclaude est diplômé en sciences politiques et en droit communautaire. Membre de plusieurs think tanks français, il combine une double expérience des affaires européennes en France et au Royaume-Uni.