par Xavier Grosclaude, le jeudi 24 septembre 2009

Nul n'est besoin de le rappeler l'Afghanistan a toujours été une terre hostile pour les armées étrangères. Qu'ils s'agissent de l'armée coloniale britannique des Indes écrasée en janvier 1842 à la frontière afghano-pakistanaise ou de l'armée russe contrainte de quitter l'Afghanistan en 1989, après dix ans d'occupation, la géographie physique, sociale et religieuse de l'Afghanistan restera pour longtemps encore inaccessible au cartésianisme des experts militaires occidentaux.


Aujourd'hui, au-delà de la situation militaire, l'élément le plus inquiétant est peut être l'indifférence de la population afghane à l'égard des actions menées par les forces de la coalition, une indifférence qui va de pair avec la lassitude croissante des opinions publiques européennes (Allemagne, Danemark, France Italie, Royaume-Uni…) et américaines ( Etats-Unis et Canada) pour une " opération de stabilisation" dont la finalité première, la lutte contre le terrorisme, n'est plus vraiment crédible au regard de la situation sur le terrain.

La multiplication des attentats au cœur même de la ville de Kaboul témoigne de l'impuissance du Président Hamid Karzaï et des forces de la coalition à assurer la sécurité quotidienne des afghans sur l'ensemble du territoire.

Or, cette impuissance couplée aux dysfonctionnements de la gouvernance afghane (corruption, concussion, prévarication…) et aux retards accumulés dans la reconstruction du pays (infrastructures de communication, sanitaires, énergétiques…) ne sont pas de nature à rassurer une population dont la confiance, ne l'oublions pas, ne nous est pas indéfiniment acquise.

Lucidité oblige, le Général Stanley McChrystal , récemment nommé à la tête des forces de l'Otan, a admis qu'il fallait changer de stratégie. Le rôle de l'Union Européenne est assurément d'appuyer cette démarche. Comment ?

Premièrement en se saisissant politiquement et publiquement du dossier Afghan, deuxièmement en formulant des préconisations de nature à redonner une visibilité à l'action des pays européens engagés en Afghanistan. Les maîtres mots des ces préconisations doivent être "cohérence" et "efficience".

Au titre de la cohérence, même si l'Union européenne n'a pas de compétences propres en la matière, il parait nécessaire de s'interroger sur la dualité des actions conduites au titre de l'opération « Liberté Immuable » (sous contrôle exclusivement américain) et des actions menées par la Force Internationale d'Assistance à la Sécurité (FIAS). Est-ce une option pertinente ?

Personnellement, je n'ai pas de religion toute faite sur le sujet mais a priori je ne pense pas qu'elle soit de nature à faciliter une lecture globale des opérations militaires menées sur le terrain, ni de faciliter la compréhension du conflit par les opinions publiques (afghane et européenne) sauf à considérer que la "bataille de la communication" est déjà perdue ?

Sur le terrain de l'efficience, il semble souhaitable, avant de vouloir exporter la démocratie, de construire un véritable Etat de Droit dans lequel les afghans aient confiance. L'extrême faiblesse de l'institution judiciaire et la très grande perméabilité de l'institution policière à des pratiques incompatibles avec l'existence d'un Etat de droit moderne ne sont pas de nature à créer cette confiance.

Par ailleurs, pour rester sur le terrain de la confiance, il semble délicat d'envisager une montée en puissance de l'Armée Nationale Afghane sans la doter des équipements nécessaires à l'exercice de sa mission. Certes, l'Armée Nationale Afghane n'est pas encore totalement opérationnelle (et le risque de désertions existe…) mais il serait risqué d'attendre plus longtemps qu'elle le devienne pour lui faire confiance.

Enfin, réalisme oblige, il parait illusoire d'envisager une solution globale pour l'Afghanistan sans inviter le Pakistan et toutes les parties prenantes afghanes à la table des négociations. La véritable question aujourd'hui est de savoir si cela est possible sous la seule impulsion des Etats-Unis ? Voire de l'actuel Président partisan d'une coopération plus étroite avec l'Inde… ? De vous à moi, cela me semble difficile, en revanche, l'Union Européenne peut tout à fait jouer de sa "neutralité militaire" pour rechercher en toute discrétion des solutions de compromis sur des sujets aussi sensibles que le dialogue inter-afghan ou la lutte anti-drogue (90% de l'héroïne mondiale provient d'Afghanistan) .

Dans la mesure où les insurgés ont pour seul et unique objectif la chute du gouvernement en place, il appartient à l'Union Européenne de contribuer de manière efficace à la définition d'une nouvelle feuille de route axée sur la reconstruction institutionnelle, sociale et économique de l'Afghanistan avec les afghans et pour les afghans.

Sauf à être la spectatrice impuissante d'une défaite militaire annoncée, l'Union Européenne doit se saisir des irrégularités constatées lors du dernier scrutin présidentiel pour exiger une plus grande rigueur dans la gestion politico-administrative du pays. C'est son droit le plus strict en qualité de contributeur financier au redressement du pays mais aussi son devoir si elle ne veut pas désespérer le peuple afghan.

L'erreur fatale serait de croire que les afghans peuvent se contenter d'un Etat de droit au rabais. Le croire, c'est faire le jeu des insurgés qui misent autant sur leurs capacités de nuisance, de plus en plus réelles, en s'attaquant par exemple aux circuits logistiques de l'OTAN, que sur la déception des afghans à l'égard du gouvernement en place.

Aussi, est-il peut être temps de hausser le ton à l'égard du Président Hamid Karzaï en le pressant de remettre de l'ordre dans "la maison Afghanistan" qui, faut-il le rappeler, bénéficie d'aides financières considérables dont l'allocation n'est pas des plus transparente…

Aujourd'hui, n'en déplaise aux partisans du "rouleau compresseur" , densifier la présence militaire en Afghanistan aura très peu d'impact sur notre capacité à transformer durablement l'Afghanistan si cette décision ne s'accompagne pas d'une reconfiguration du dispositif militaire mis en place, d'une simplification de la chaine de commandement afin d'optimiser la déclinaison opérationnelle des actions engagées sur le terrain, notamment dans les zones de combats les plus exposées, et d'un changement de posture de l'armée américaine vis-à-vis de la population ( la "bunkerisation" des unités américaines les éloigne non seulement physiquement mais aussi psychologiquement de la population).

Parallèlement à ces correctifs militaires, il faut accélérer la reconstruction du pays en donnant la priorité aux infrastructures et aux services " primaires" à la population (santé, éducation, sécurité, justice) en ayant bien en tête qu'un pays occupé (et désabusé par un Président élu par défaut…) peut très facilement basculer de la confiance à la méfiance et de la méfiance à la défiance.

En réalité, à partir de maintenant, la vrai question n'est plus de savoir comment on va quitter l'Afghanistan, il est trop tard, mais comment on va y rester et pourquoi ? En l'absence de réponse rapide et qualitative à cette double question le risque d'un enlisement deviendra malheureusement inévitable avec toutes les incertitudes géopolitiques et les tragédies humaines qui s'y rattacheront.

Augmenter les effectifs militaires en Afghanistan dans la seule crainte d'échouer n'est pas en soi une solution mais une fuite en avant qui ne résistera pas aux redoutables jeux des alliances locales. Si nouvelle stratégie militaire il doit y avoir, elle doit impérativement être porteuse de sens pour la population locale et autoriser une nouvelle dynamique politique pleinement assumée par le gouvernement afghan et les pays de la coalition. Dans le cas contraire, "God Save the Queen" …








Xavier Grosclaude est diplômé en sciences politiques et en droit communautaire. Membre de plusieurs think tanks français, il combine une double expérience des affaires européennes en France et au Royaume-Uni.  

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