Paru dans la lettre n°408 de la Fondation Robert Schuman
1. Alors que le Parlement européen fait sa rentrée, quels sont, selon vous, les projets majeurs et les priorités de la législature 2009-2014 ? Quels sont les enjeux à court et moyen termes ?
Notre première priorité consiste à contribuer à faire face à la crise financière mondiale. Même si la crise mondiale semble se stabiliser et que les indicateurs macro-financiers de la zone euro et des États-Unis sont bons, nous ne devons pas être trop confiants. Nous devons continuer nos réformes pour rendre la reprise durable.
La présidence suédoise a fait du retour à l'emploi des citoyens l'une de ses priorités. Il s'agit aussi d'une des priorités du nouveau Parlement. Nous devons voir comment nous pouvons investir davantage dans le capital humain, l'innovation et les nouvelles technologies. Je pense que le budget de l'Union peut contribuer à renforcer ces investissements.
Nous devons commencer à mettre en uvre le traité de Lisbonne dès qu'il entrera en vigueur.
Le marché unique constitue l'une de nos grandes réussites et nous ne devons pas simplement le préserver mais aussi l'élargir afin de continuer à faire de l'Europe un continent ouvert et concurrentiel.
Nous devons parvenir à une position européenne commune dans la perspective de la conférence des Nations Unies sur le changement climatique qui aura lieu à Copenhague en décembre. Le Parlement sera très actif dans le débat sur cette question.
Il est également temps pour nous de réfléchir à notre politique énergétique commune afin de garantir notre sécurité. Certaines de ces questions importantes seront traitées par le Parlement au cours des mois à venir.
2. Vous avez pris vos fonctions à un moment charnière dans l'évolution institutionnelle de l'UE. Si le traité de Lisbonne entre en vigueur, quel rôle pourrait jouer le Parlement européen dans la nouvelle architecture institutionnelle ?
Selon le traité de Lisbonne, le Parlement devient un véritable co-législateur avec le Conseil des ministres. Notre pouvoir de codécision est étendu à des domaines tels que l'agriculture, la pêche, le commerce extérieur, la justice et les affaires intérieures. Nous disposons également de compétences renforcées concernant le budget de l'Union, en nous voyant accordés pour la première fois des pouvoirs identiques en matière de dépenses agricoles.
Je pense qu'il s'agit d'une évolution très positive car elle permettra de créer un meilleur contrepoids et renforcera la voix des citoyens européens. Nous disposons désormais des outils pour rendre plus flexible l'attribution de fonds à des domaines que nous soutenons.
3. Dans l'histoire de la construction européenne, les institutions communautaires ont bénéficié d'une influence déterminée autant par les textes législatifs que par la personnalité et la volonté de leurs leaders. En tant que Président du Parlement européen, dans quelle direction souhaitez-vous faire évoluer le rôle de cette institution ?
Le Parlement est la seule institution dont les membres sont élus pour cinq ans au suffrage direct, leur offrant une légitimité unique dans le cadre institutionnel communautaire.
Nous devons améliorer nos relations avec les autres institutions européennes, notamment avec la Commission européenne et le Conseil des ministres, de manière à renforcer la responsabilité et à encourager l'amélioration du processus législatif.
J'ai déjà pris certaines mesures en ce sens. J'ai invité le président de la Commission à participer à une session de questions-réponses d'une heure lors de chaque session plénière. J'ai également demandé aux 20 présidents des commissions parlementaires de procéder systématiquement à un inventaire des propositions législatives en cours afin qu'une discussion sérieuse sur la future politique puisse s'engager avec les commissaires-désignés lors de leurs auditions de confirmation. Je pense que cela contribuera à renforcer l'examen parlementaire de la Commission et la responsabilité de l'exécutif devant le Parlement.
4. Votre mandat devrait normalement s'achever en 2012, en dépit de la lettre des Traités, pour laisser la place à l'un des vos collègues sociaux-démocrates, en vertu de l'accord passé entre les deux principaux groupes politiques du Parlement européen. Que pensez-vous de cet usage et de la pratique du consensus qui le sous-tend ? Estimez-vous que cela soit compatible avec la nécessité, mise en évidence lors des dernières élections européennes, de rapprocher le citoyen européen des institutions communautaires et de lui rendre plus compréhensible leur fonctionnement ?
Le postulat de votre question est erroné. La fonction de président du Parlement européen dure 30 mois. Ensuite, une nouvelle élection pour ce poste est organisée. Même si le PPE a gagné les élections et qu'il constitue le plus grand groupe politique, il ne dispose pas d'une majorité absolue au Parlement. Aucun groupe n'a jamais obtenu une telle majorité. Il s'agit de la " règle de la pluralité ", et non de la " règle de la majorité ". Cette règle reflète les opinions des citoyens européens et je pense qu'elle est salutaire car elle garantit toujours le respect des droits de la minorité. Dans une Europe de 500 millions de citoyens, originaires de régions très variées, il existera toujours un certain nombre de courants opposés : une simple division politique gauche-droite ne peut donc pas s'appliquer en tant que telle. Au Parlement européen, nous essayons dans la mesure du possible de parvenir à un consensus et de trouver une vaste majorité afin que la décision adoptée soit favorable à l'ensemble des citoyens européens.
Je m'engage toutefois à impliquer davantage les citoyens européens afin de lancer la construction d'une véritable démocratie européenne. Je pense que le Parlement doit être aussi transparent que possible afin que les Européens sachent comment leurs lois sont débattues, amendées et adoptées. L'une de mes propositions consiste à inviter la télévision par le satellite ou par le Web dans nos commissions et délégations qui doivent être davantage ouvertes à l'examen des citoyens.
5. Les élections européennes de juin dernier ont été organisées sur la base du traité de Nice mais une partie de la législature 2009-2014 pourrait se dérouler selon les règles du traité de Lisbonne. C'est la raison pour laquelle un courant fort dans l'opinion publique souhaite une désignation du prochain Président de la Commission européenne selon les modalités prévues dans le traité de Lisbonne. Quel est votre sentiment sur ce point ?
Nous avons pris la décision d'organiser un vote pour élire le président de la Commission durant la session plénière de septembre. Cela sera fait selon le traité de Nice.
Je suis un ardent défenseur du traité de Lisbonne car je pense qu'il constitue le meilleur traité que puisse avoir une Union de 27 membres. Toutefois, nous devons respecter le choix du peuple irlandais et la volonté des présidents polonais et tchèque. En attendant, nous fonctionnerons selon le traité actuel, ce qui signifie que la prochaine Commission devra être nommée selon le traité de Nice.
Lorsque le traité de Lisbonne sera ratifié, nous devrons revenir sur la question institutionnelle de la nouvelle Commission.
6. En dépit du soutien massif de la Diète à la ratification du traité de Lisbonne, le Président polonais Lech Kaczynski a souhaité réserver sa décision de le ratifier jusqu'à ce que le peuple irlandais se prononce de nouveau sur le sujet. Est-ce que vous pensez qu'un " oui " même étriqué lors du référendum du 2 octobre prochain suffira à convaincre le Président polonais à apposer sa signature au Traité ? Et estimez-vous que le Président tchèque suivrait dès lors l'exemple de son homologue polonais ?
Le président Kaczynski a toujours affiché un grand respect pour la démocratie. Il pense que nous devons laisser le peuple irlandais prendre sa propre décision par référendum. C'est la raison pour laquelle il a proposé d'attendre l'issue du vote. J'ai discuté de cela avec lui. Je suis convaincu que les deux présidents Kaczynski et Klaus ratifieront le traité une fois que le peuple irlandais aura voté " Oui ", s'il vote " Oui ".
7. Vous êtes la première personnalité d'un pays de l'ex-bloc communiste à accéder à la fonction de Président du Parlement européen. Est-ce que vous y voyez une dimension symbolique ?
Cette année, nous célébrons le 20ème anniversaire de la chute du mur de Berlin et des transformations politiques et économiques en Europe centrale et orientale.
Il y a vingt ans, je n'avais jamais rêvé d'être candidat au Parlement européen, et encore moins d'en être le président. Je pense que mon élection a tourné la page d'un chapitre sombre de notre histoire commune. Aujourd'hui, l'Europe n'est pas seulement réunie, mais intégrée et nous pouvons travailler sur des solutions communes sans les frontières qui nous divisaient.
8. 20 ans après la chute du mur de Berlin, on continue toujours d'identifier les pays de l'UE en fonction de leur appartenance aux anciens blocs, en opposant souvent la " nouvelle " et la "vieille " Europe. Est-ce que cette distinction a encore lieu d'être ? Ou faudrait-il plutôt prendre en considération l'ensemble des éléments de différenciation qui se chevauchent et s'entrecoupent et enrichissent ainsi cette Union " unie dans la diversité " ?
Je pense que durant ce mandat parlementaire, peut-être en partie en raison de mon élection, l'expression " nouvelle " et " vieille " Europe cessera d'être utilisée. Rappelez-vous qu'en 2007, deux " nouveaux " membres nous ont rejoints et actuellement, d'autres Etats négocient leur adhésion. Pour eux, nous sommes tous de " vieux " Etats membres.
Je pense que les pays qui ont rejoint l'Union européenne il y a cinq ans ont fait d'énormes progrès et que chaque année, les différences liées à notre histoire vont s'estomper. Il suffit de regarder l'Espagne et le Portugal aujourd'hui : ces pays ont également été des " nouveaux " membres, qui partagent une histoire similaire à celle des pays d'Europe centrale et orientale.
Traduit de l'anglais par Mathilde Durand, chef de projet à la Fondation Robert Schuman.
http://www.robert-schuman.eu