Mardi 19 mai 2009, la Cour de Justice des Communautés Européennes a rendu son verdict concluant que "réserver la détention capitalistique d'une pharmacie à des pharmaciens n'était pas incompatible avec les principes de libre installation et de libre circulation des marchandises
".
Etat des lieux
En France, nous comptons 22.650 pharmacies ; le chiffre d'affaires annuel moyen d'une officine est de 1,5 M HT. Les médicaments prescrits représentent 78% du CA et participent à hauteur de 70% au résultat net de l'entreprise alors que la parapharmacie pèse 12% du CA pour une contribution à hauteur de 15% du résultat et que les médicaments non remboursés représentent, eux, 10% du CA.
A noter donc que 88% du CA (le médicament) participent à 85% au résultat de l'entreprise. Si en France nous disposons d'une pharmacie pour 2700 habitants (soit une pharmacie à moins de 7 minutes d'un client) la moyenne européenne se situe à une pharmacie pour 4700 habitants ou une pharmacie pour 3800 habitants soit une pharmacie à 15 minutes d'un patient (sans compter le Danemark).
L'Europe des pharmacies c'est 160 000 officines, 360 000 pharmaciens et 500 000 salariés.
Le processus de libéralisation concernant les officines est contrasté. Le capital des pharmacies est ouvert aux non-pharmaciens en Belgique, Irlande, Norvège, Royaume Uni et Suisse. La liberté d'installation comme la vente des médicaments hors pharmacies, ne sont pas de mise dans ces pays. Les pharmaciens suisses, anglais et hollandais sont rémunérés en honoraires alors qu'en France, Espagne, Belgique, Italie et en Allemagne, les pouvoirs publics fixent et régulent la marge sur les médicaments donc la rémunération des pharmaciens.
Tous ces éléments nous autorisent à conclure qu'il n'existe pas réellement de modèle Européen.
L'Europe en question
Charlie Mc Creevy, Commissaire à la concurrence et aux marchés intérieurs, a engagé une procédure d'infraction à l'encontre de la France. Il contestait notamment que la propriété des pharmacies soit réservée aux seuls pharmaciens et qu'un pharmacien ne puisse gérer qu'une seule pharmacie.
Plusieurs pays ont récemment mis fin au monopole des pharmaciens sur la vente de médicaments sans ordonnance (Royaume-Uni, Danemark, Pays-Bas, République tchèque et Italie) où ces produits sont disponibles dans et hors officines. La Commission a donc adressé à la France un "avis motivé" demandant des éclaircissements, par rapport au monopole de propriété.
La justice européenne n'a pas voulu généraliser la libéralisation du marché de la vente de médicaments dans l'UE en reconnaissant mardi 19 mai 2009, que chaque état pouvait limiter la détention capitalistique des officines à des pharmaciens, et que cette limitation n'était pas contraire aux principes de libre installation et de libre circulation des marchandises. Au passage la Commission reconnaît la subsidiarité des pays en matière d'organisation de la distribution du médicament. Un jugement destiné en premier lieu à l'Allemagne et l'Italie, mais appelé à faire jurisprudence.
Ce jugement de la Cour européenne de justice était très attendu par les grossistes répartiteurs, désireux d'essaimer des chaînes de pharmacie en Europe au nom de la liberté d'établissement. La juridiction a en effet insisté sur "le caractère très particulier des médicaments, les effets thérapeutiques de ceux-ci, les distinguant par ailleurs substantiellement des autres marchandises".
Elle souligne qu'un pharmacien de profession "est censé exploiter la pharmacie non pas dans un objectif purement économique, mais également dans une optique professionnelle liée à sa formation médicale".
La justice note aussi que la subordination de pharmaciens, en tant que salariés, à un exploitant extérieur pourrait rendre difficile pour ces professionnels médicaux de s'opposer aux instructions données.
Certes, l'exclusion des non-pharmaciens constitue bien "une restriction à la liberté d'établissement et à la libre circulation des capitaux" mais la Cour justifie cette mesure face aux risques pour la santé.
Un pays européen a donc le droit de considérer que "l'exploitation d'une pharmacie par un non-pharmacien peut représenter un risque pour la santé publique, en particulier pour la sûreté et la qualité de distribution des médicaments au détail".
"Il importe que l'État membre puisse prendre des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité de ces risques soit pleinement démontrée", souligne encore la Cour.
Des enjeux essentiels
Ainsi, les enjeux étaient importants, pour ne pas dire essentiels, tant au niveau de l'organisation des pharmacies, en France, qu'au niveau de leur répartition géographique, des services rendus, et enfin de la subsidiarité des États en matière d'organisation de la distribution des médicaments.
Rappelons qu'un pharmacien doit faire preuve d'indépendance tant dans l'exercice de sa mission et que la qualité de l'acte de dispensation des médicaments est étroitement liée à cette indépendance.
En laissant le terrain libre aux investisseurs, la bonne répartition sur tout le territoire des officines serait en danger. Les soucis de rentabilité auraient vite fait de mettre en danger le maillage actuel des officines. Et par là même les garanties nécessaires pour assurer un approvisionnement varié et de qualité en médicaments à l'entière population.
Ce n'est pas en permettant à des investisseurs de créer des chaines de pharmacies que l'on améliorera les conditions d'exercice des pharmaciens et la qualité des services, et/ou le nombre des services rendus par les pharmaciens français.
Pour toutes ces raisons, je m'oppose et continuerai à m'opposer à la logique du "tout libéral pour l'officine de pharmacie !!!
Le système doit évoluer
Alors que le nombre de médecins va diminuer au cours des 7 prochaines années, est-il opportun de laisser le réseau officinal ne pas s'organiser ou ne s'organiser qu'en fonction de critères économiques et de rentabilité ?
N'est-ce pas le moment de tout mettre en uvre pour que l'officine devienne un pôle santé efficace au niveau de la prévention, l'observance, le soin, l'accompagnement et le suivi.
Je plaide en faveur d'une remise en cause des grands principes qui régissent la profession et la pharmacie en proposant de :
Publier les décrets d'application concernant les SEL (société d'exercice libéral) d'officines et permettre ainsi à plusieurs pharmaciens de s'associer pour posséder plusieurs pharmacies mais en préservant l'indépendance de l'exploitant et non en le rendant dépendant de larentabilité exigée par ses associés.
Offrir aux jeunes diplômés la possibilité de bénéficier de prêts à taux zéro pour l'acquisition d'une pharmacie.
Mettre en place un système de régulation concernant les prix de vente des officines afin de les ramener à leur "réelle" valeur.
Organiser département par département des regroupements "volontaires et réfléchis" de pharmacies pour créer des entités plus importantes. Ces officines disposeront ainsi de plus de pharmaciens et seront à même de proposer plus de services (Loi HPST).
Revoir le mode de rémunération des pharmaciens : octroyer une marge linéaire faible sur les médicaments prescrits (7-8%) afin de supporter le coût du stock et prévoir une rémunération du pharmacien à l'acte, il faut donc révoir des honoraires pour la dispensation ou la non dispensation et pour les services rendus. Ainsi le pharmacien aura tout intérêt à jouer pleinement son rôle : conseils, dispensation du traitement sans ordonnance, observance, refus de vente, prévention, suivi, accompagnement.
Enfin, obtenir que pour certains médicaments les pharmaciens puissent délivrer les quantités exactes en déconditionnant les produits marketés, ou en achetant les médicaments en vrac.
Conclusion
Le jugement de la commission Européenne est certes favorable aux pharmaciens français, mais il est urgent que la profession propose les évolutions nécessaires et indispensables :
Pour faciliter l'accès des jeunes à la propriété.
Et pour que la pharmacie participe durablement et positivement aux évolutions de notre système de
Lucien Bennatan est président du groupe PHR
http://www.groupephr.fr