Entretien publié dans le lettre du 18 mai 2009 de la Fondation Robert Schuman
Les prochaines élections européennes auront lieu du 4 au 7 juin. Quel bilan tirez-vous de la législature 2004-2009 ? Quels sont les projets importants, actuels et futurs ? Quelle sera, selon vous, la prochaine législature 2009-2014 ? Et quels sont les défis à court et moyen terme ?
Permettez-moi de commencer par la crise économique et financière. Même si l'ampleur de la crise était à peine prévisible, le système donnait, depuis quelques années déjà, des signes manifestes de carences graves qui, tôt ou tard, allaient nous exposer à de très sérieux problèmes. Avec la mondialisation des échanges financiers, les marchés monétaires et financiers s'en sont beaucoup trop remis au " laisser-faire " et à l'autoréglementation.
Tous les événements survenus au cours de ces derniers mois traduisent des carences au niveau de l'évaluation des marchés et du contrôle. La réglementation et la surveillance des marchés financiers n'ont pas suivi l'essor rapide et l'intégration des marchés financiers et n'ont donc pas suffi à éviter le choc financier.
Le Parlement européen a, à maintes reprises, attiré l'attention sur ce défaut de régulation et de surveillance des marchés financiers dans l'Union européenne et exhorté plus d'une fois la Commission à proposer des mesures pour renforcer le système de surveillance européen.
La lutte contre la crise sur les marchés financiers est cruciale. Mais une crise dramatique menace également notre planète, à cause des erreurs et de la négligence humaines.
L'erreur que nous avons commise par rapport aux marchés financiers, en n'intervenant pas suffisamment tôt, ne doit pas se reproduire au niveau de notre environnement.
Même si nous ne pourrons mesurer qu'à très long terme le résultat de nos actions pour lutter contre le changement climatique, le temps qu'il nous reste pour agir est, dans le même temps, très limité au plus 7 à 8 ans comme nous l'affirment les experts - et le prix de notre inaction est chaque jour plus élevé.
Une lutte déterminée et en temps utile contre le changement climatique et la mise en uvre du paquet énergétique ne devraient pas être considérées comme une charge économique à court terme mais plutôt comme une nécessité imposée par la sagesse économique à long terme.
Les défis de demain vont très rapidement devenir les problèmes concrets d'aujourd'hui. Nous manquons, dans l'Union européenne, de véritables processus décisionnels qui permettraient de relever efficacement ces défis.
Les grands défis auxquels nous sommes d'ores et déjà confrontés appellent plus que jamais la mise en uvre du traité de Lisbonne pour une Union européenne capable d'agir, démocratique et proche des citoyens. Car l'Union européenne n'est envisageable que comme l'expression de la liberté en Europe. Nous devons protéger les droits de l'Homme, la démocratie et notre ordre juridique en développant l'Union comme une Communauté du droit et de la liberté. Sans droits de l'Homme, sans démocratie et sans ordre juridique, il n'y a pas de confiance entre les États, ni au sein d'une société. Nous devons poursuivre nos travaux sur ce thème pour que le droit prime toujours en Europe. Le droit doit avoir le pouvoir, ce n'est pas le pouvoir qui détient le droit !
Un autre défi majeur concerne le dialogue interculturel. Ainsi, le dialogue entre les cultures, amorcé au Parlement européen pour éviter un choc des civilisations, a été très bien relayé dans les États membres et chez nos voisins. Les institutions de l'Union européenne prennent ce dialogue de plus en plus au sérieux et organisent une série d'initiatives et de manifestations. Ainsi, l'année 2008 a été consacrée " Année du dialogue interculturel ".
De plus en plus d'aspects de la vie mondiale qui relèvent de l'organisation politique se dérobent à un pouvoir de décision national. Nous sommes confrontés à des défis qui dépassent les frontières nationales. C'est pourquoi la collaboration entre l'échelon national et l'échelon européen est nécessaire pour trouver des solutions efficaces et surtout supportables qui représentent aussi une valeur ajoutée pour tous dans l'Union européenne.
Pour renforcer la démocratie, il est nécessaire que le Parlement assume son rôle de colégislateur, de façon active et consciente. Mais il est nécessaire également que les parlements nationaux se saisissent non seulement des questions fondamentales, mais également des nombreuses particularités de la politique européenne.
Le Parlement européen et les parlements nationaux ne sont pas en concurrence mais ont plutôt une responsabilité commune par rapport à la démocratie européenne. À cela s'ajoute le rôle essentiel de la démocratie régionale en Allemagne, les Länder et communale avec nos villes, nos communes et nos circonscriptions qui font la richesse et la diversité de l'Europe.
Actuellement, au regard du développement de l'influence, du pouvoir et de la politique au sein de l'Union européenne, on constate que le Parlement européen est, de manière générale, pris au sérieux
Sur le plan personnel, quel bilan tirez-vous de votre Présidence ?
Le mandat de Président du Parlement européen est, à juste titre, limité à deux ans et demi. Notre Parlement est celui de tous les citoyens et citoyennes de l'Union européenne. Il représente la diversité dans l'unité de notre continent. Plus que tout autre organe de l'Union, il doit régulièrement rendre compte de ses actions. Il est issu d'élections libres. Nous savons que la démocratie tire sa force du changement. Ceci vaut également pour la fonction de Président du Parlement européen.
J'ai assumé ma présidence à la tête du Parlement européen avec pour ligne de conduite deux idées directrices, dont l'accomplissement dépasse naturellement le cadre de cette présidence : la protection inconditionnelle de la dignité humaine et l'importance du dialogue des cultures. Je n'ai cessé de prendre position sur ces deux thèmes. Nous avons ensemble mené à bien plusieurs initiatives. Je repense avec gratitude à l'année du dialogue interculturel, laquelle a permis de dégager des dynamiques qui continueront, à l'avenir, à orienter notre démarche, à nous inspirer, à exiger notre engagement.
Lors de mon discours inaugural à la Présidence du Parlement européen, j'avais demandé que nous établissions, avec la création d'une " Maison de l'histoire européenne " un lieu du souvenir et du renouvellement de notre conscience européenne. Entretemps, les décisions ont été prises et le projet est en bonne voie. J'espère que la " Maison de l'histoire européenne " pourra ouvrir ses portes avant les élections européennes de 2014.
Il est frappant de constater que les compétences et les pouvoirs du Parlement européen augmentent alors que, dans le même temps, la participation aux élections européennes ne cesse de diminuer. Comment expliquez-vous ce paradoxe ? Comment peut-on, selon vous, susciter un intérêt politique pour ces élections et pour une institution le Parlement européen qui joue un rôle de plus en plus important dans l'architecture politique de l'Union européenne ?
Il ressort clairement des entretiens avec les électeurs et les électrices qu'il existe de nos jours un intérêt pour la politique européenne. Mais on ne cesse de nous dire qu'il y a un manque d'information sur l'Union européenne et son travail. De nombreux citoyens semblent ignorer les compétences, pourtant nombreuses, du Parlement européen. Ce déficit d'information se trouve confirmé dans les résultats des sondages produits année après année par l'Eurobaromètre
Nous devons nous attaquer sérieusement à ce problème car il est difficile pour quiconque n'est pas informé de prendre des décisions politiques. C'est pourquoi les partisans de la campagne du " non " au référendum irlandais ont eu du succès avec le slogan : " If you don't know, vote no ". Une deuxième campagne pour le référendum en Irlande devra donc absolument passer par une meilleure information des citoyens et citoyennes.
La question se pose naturellement de savoir d'où vient ce déficit d'information, tant il est vrai que toutes les institutions européennes s'efforcent, de diverses manières, d'informer l'opinion publique, que ce soit par l'intermédiaire d'informations proposées directement aux médias, de manifestations publiques, de programmes de visite, de contacts directs avec les citoyens et les citoyennes par Internet et les nouveaux médias. L'une des principales raisons est à l'évidence l'absence de publicité européenne: une information européenne qui serait diffusée dans les États membres de l'Union européenne par les médias nationaux pourrait contribuer à réduire ce déficit d'information. Et ce qui vaut pour les hommes politiques européens vaut également pour les correspondants européens qui travaillent depuis Bruxelles et Strasbourg. Ils se trouvent toujours en concurrence avec les événements nationaux et leurs sujets passent souvent à l'as. Il est regrettable également que les émissions de télévisions et les tables rondes sur des thèmes qui ont également une perspective européenne et abordent, par exemple, les thèmes des migrations, de la crise financière, du marché intérieur ou de la sécurité, invitent exclusivement des hommes politiques nationaux pour en discuter entre eux. Il serait souhaitable que sur ces questions soient également invités des hommes politiques européens qui pourraient les éclairer d'un point de vue européen. Il s'ensuit malheureusement que ces discussions manquent souvent d'une connaissance approfondie de la politique européenne. Il est évident qu'il est difficile d'expliquer la démocratie européenne sans un soutien européen des médias. Le soutien des hommes politiques nationaux, des gouvernements et des députés nationaux sur les grands principes de l'Union européenne est donc indispensable pour qu'une plus grande place soit faite aux questions européennes dans les informations des États membres.
Comment vont, selon vous, se dérouler les prochaines élections au Parlement européen ? Comment peut-on éviter la confusion entre des considérations nationales et les véritables défis européens de ces élections ?
Les élections au Parlement européen ont également, d'un point de vue national, une importance qu'il convient de ne pas négliger lorsqu'elles servent également d'élections test ou de point de départ à des élections nationales. Citons à cet égard l'exemple de l'Allemagne, où les élections au Bundestag auront lieu seize semaines seulement après les élections au Parlement européen. Les élections au Bundestag sont traditionnellement le point culminant du calendrier électoral allemand. Ce dernier est bien rempli avec l'élection présidentielle le 23 mai et onze élections communales et cantonales au courant de l'année 2009 et promet d'être passionnant. Le succès aux élections européennes est donc le meilleur test pour un bon résultat aux élections au Bundestag comme aux élections aux Landtag et aux élections communales. Dès lors, nous constatons, avant même les élections européennes, une plus grande prise de conscience et une meilleure compréhension de l'Union européenne. La campagne électorale a ici des effets très concrets. En outre, les sondages Eurobaromètre les plus récents confirment que les citoyens ont une bonne opinion du rôle de l'Union européenne, notamment en cette période de crise. Ainsi, près de deux-tiers des Européens demandent que l'Union européenne joue un plus grand rôle dans la lutte contre la crise économique et financière. Sur ce point, ils font davantage confiance à l'Union européenne pour résoudre la crise qu'aux États membres.
Les élections européennes sont organisées sur la base du traité de Nice mais la législature 2009-2014 pourrait se dérouler sur la base des règles du traité de Lisbonne. C'est pourquoi de nombreuses personnes, dans l'opinion publique, voudraient que le Président de la Commission européenne soit nommé en vertu des dispositions du traité de Lisbonne, c'est-à-dire en tenant compte des résultats aux élections européennes. Approuvez-vous cette initiative ? Ne pensez-vous pas qu'une telle initiative pourrait susciter un réel intérêt des citoyens pour les élections européennes du mois de juin ?
En 2004, le Parlement avait demandé que l'orientation politique du Président de la Commission puisse refléter le résultat des élections au Parlement européen. Ce sera à nouveau le cas pour l'élection du nouveau président de la Commission après les élections européennes. En cas de victoire du parti populaire européen (PPE) et de ses partenaires, José Manuel Durão Barroso pourrait poursuivre son travail fructueux en tant que Président de la Commission. Le nouveau traité révisé donnera également force de loi à cette revendication fondamentale d'un parlement démocratiquement élu: après l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, les chefs d'État et de gouvernement devront désormais, lors de la nomination d'un candidat au poste de Président de la Commission, tenir compte du résultat des élections au Parlement européen. Conformément au traité révisé, le Parlement européen élit le Président de la Commission et, au cours d'un autre vote, accorde, ou non, sa confiance à l'ensemble de la Commission. Ainsi, les droits du Parlement européen, concernant la nomination de la Commission, sont plus étendus que ceux du Bundestag allemand, qui élit le Chancelier fédéral mais ne vote pas la confiance au gouvernement fédéral dans son ensemble.