Editorial de Noëlle Lenoir paru le 6 avril 2009 sur le site du Cercle des européens :
http://www.ceuropeens.org
Le colloque organisé par Thierry Cornillet, député européen, auquel j'ai participé au Palais du Luxembourg le 4 avril 2009 avait pour but de tirer les premiers enseignements de la crise. Sous l'intitulé "l'Europe dans la Crise", il s'agissait plus particulièrement de mieux appréhender où en était aujourd'hui l'Europe, sa cohésion, l'avenir de son économie et de son modèle social, et plus largement de son modèle de protection des droits et libertés des citoyens. Débat passionnant.
Finalement, il n'est pas impossible que l'Europe politique sorte renforcée de cette crise. Certes, sur fond de crise sociale créée par la montée du chômage, il va être très difficile de convaincre les électeurs en perspective des élections au Parlement européen du 7 juin prochain des bienfaits de l'Union européenne. L'Europe, en particulier en France, est associée au libre échange et à la libre concurrence sur un marché ouvert, ce qui n'a pas forcément bonne presse dans notre pays, et ce, alors que le marché a été un formidable levier pour la croissance. Mais ses graves dysfonctionnements actuels obèrent ce constat. Et puis en quoi l'Europe protège-t-elle réellement les salariés privés d'emploi et les ménages en panne de pouvoir d'achat ? Ce sont des questions qui seront au cur de la campagne aux Européennes.
Hic et nunc, l'Europe n'a pas déméritée.
1. Les mécanismes du traité ont permis de préserver un minimum de cohérence entre les plans d'aides d'Etat aux banques et aux entreprises, évitant ainsi d'aggraver encore davantage, par un retour au protectionnisme économique, la situation économique et sociale
Les pères Fondateurs ont été visionnaires, cela se confirme. Ils avaient envisagé la crise systémique que nous vivons en prévoyant la possibilité pour les Etats membres d'octroyer des aides de toutes sortes "pour remédier à une perturbation grave de l'économie" (article 87.3 b) du traité CE) et non pas seulement pour secourir telle ou telle entreprise au bord de la faillite. De manière inédite, cette disposition a été effectivement mise en uvre.
Elle a conduit la Commission européenne à jouer le rôle de pilote de l'ensemble, négociant État par État, leurs plans d'aides aux banques ou aux industries (automobiles notamment) pour garantir que l'injection de fonds publics dans un pays n'entraîne pas de graves distorsions vis à vis des autres États. Par ailleurs, ces plans ont inclus des contreparties demandées aux bénéficiaires qui laissent entrevoir la sortie de crise : augmentation des encours de crédits consentis par les banques en particulier aux PME, juste rétribution des aides accordées sur l'argent des contribuables, voire dans certains cas, encadrement des rémunérations des dirigeants des établissements aidés et de la distribution des dividendes. (Voir site de la Commission européenne sur les aides d'Etat)
On ne peut que se réjouir de la rentrée sur scène d'une Commission européenne dont on n'avait pu regretter l'effacement ces derniers temps. Avec une Commission consolidée dans son rôle de garant de l'intérêt général communautaire (qui n'est pas l'addition des intérêts nationaux), un euro qui fait office de bouclier de protection pour les pays qui l'ont adopté, et une Banque Centrale Européenne dont la réactivité a été unanimement saluée, l'Europe s'est affirmée comme un acteur clé dans un monde globalisé.
2. L'Union européenne a pleinement contribué au tournant du G 20 de Londres du 2 avril 2009, en présidant au lancement du programme de réformes du système financier mondial.
Beaucoup croient qu'une fois la crise terminée et le retour de la croissance au rendez-vous, tout va revenir comme avant : spéculation à court terme, dictature des cours de bourse ne correspondant pas toujours à la santé de l'entreprise et à son apport à l'économie, reconstitution d'un marché parallèle d'externalisation des profits off shore et des dettes dans des créances seulement partiellement inscrites dans les bilans des établissements de crédit etc.
Je ne le crois pas. Ce qu'il s'est passé à Londres le 2 avril 2009 est loin d'être anodin. Pour la première fois, les représentants d'une Communauté internationale élargie aux grands pays émergents se sont mis d'accord sur une révision des règles du jeu de Bretton Woods. Le G 20 a sonné le glas du système financier hérité de l'après guerre. En fait, plus que de révision des règles du jeu, il s'est agi d'en fixer de nouvelles. Car précisément en effet, c'est l'absence du tout contrôle sur les flux financiers issus de la titrisation notamment et des marchés non intermédiés qui, suite à l'effondrement du marché immobilier aux Etats-Unis, ont été les principales causes de la crise.
Pour l'Europe, le G 20 a envoyé plusieurs signaux positifs :
Il a été l'occasion de reformer le couple franco-allemand. Les propositions d'Angela Merkel et Nicolas Sarkozy en matière de régulation ont fortement inspiré les conclusions du Sommet.
Il n'en est pas résulté de fracture idéologique entre l'Europe continentale et l'Europe "anglo-américaine". Chacun reconnaît que le G 20 (Lire le communiqué final) - qui est un fantastique succès diplomatique pour Grodon Brown le Premier ministre britannique - a évité les divisions et conduit à des conclusions innovantes et consensuelles (concernant les hedge funds, les agences de notation, les paradis fiscaux et réglementaires, les normes comptables...).
Alors que le Président des États-Unis Barack Obama insistait pour placer en haut de l'agenda de la réunion, les plans de relance économique, les Européens ont fait admettre l'importance d'une régulation mondiale.
Le thème central de la supervision a donné lieu aux hésitations les plus grandes, tant il est difficile, même en Europe, de consentir à des abandons de souveraineté. La solution retenue dans son principe pour l'Europe sur la base du rapport Larosière n'est peut-être pas encore mûre , mais elle a été au moins discutée.
Enfin, la détresse des populations du Tiers-Monde, qui doit être au cur des politiques européennes et non pas seulement d'un FMI au budget considérablement augmenté, a été évoquée. Y remédier relève essentiellement des gouvernements des Etats concernés et de la lutte contre la corruption. Mais il n'a pas été caché que le fonctionnement de l'économie mondiale ne contribue pas suffisamment à aider ces pays, dont certains regorgent de matières premières, à sortir de la pauvreté.
Les conclusions du G 20 constituent un engagement moral. Espérons qu'elles pourront se traduire par des engagements fermes et une mise en uvre effective. Pourquoi pas au travers d'un accord cadre ?
3. L'Union européenne doit maintenant relever le défi social né de la crise.
L'enjeu des élections européennes est sans doute celui-ci en effet. En dehors même du contexte électoral, nul ne peut ignorer que la façon dont l'Union européenne aidera ou non ses citoyens à traverser cette crise en évitant les drames sociaux et humains, est capital pour l'avenir de l'Europe. Le Symposium organisé en 2008 par HEC portait sur un thème tout à fait d'actualité "Un marché pour les citoyens" Pour les Pères Fondateurs de l'Europe, le marché n'est pas une fin en soi, c'est un levier pour la croissance et pour une Europe politique qu'ils appelaient de leurs vux et à laquelle il avait fallu renoncer dans l'immédiat après l'échec de la Communauté européenne de Défense (CED) en 1954.
Le marché commun a créé des solidarités de fait entre les États et leurs populations. Il faut à tout prix éviter que la crise ne les remette en cause. C'est ce à quoi s'est attachée la Commission européenne en contrôlant les plans d'aides d'Etat à l'économie et au système bancaire. C'est ce à quoi doivent s'attacher les responsables européens face à la montée du chômage et de la précarité qu'il induit.
Je réfute l'idée qu'il n'y a pas d'Europe sociale. Même si beaucoup de décisions, en particulier concernant la sécurité sociale, relèvent de l'unanimité, car les États membres ne veulent pas harmoniser leurs différents régimes, nombre de textes existent pour protéger les salariés, ne serait-ce que la directive "Vilvoorde" sur les licenciements collectifs. Ce texte n'empêche cependant pas les réductions d'effectifs. Pour celles-ci l'Europe doit se mobiliser et montrer qu'elle dispose des outils pour ce faire. En raison de sa lourdeur bureaucratique, le Fonds d'adaptation à la mondialisation doté d'un milliard d'euros n'a pratiquement jamais été sollicité pour assurer le reclassement de salariés licenciés alors que c'est son objet même. Je me réjouis que la Présidence suédoise, qui va prendre les rênes du Conseil le 1er juillet prochain, ait inscrit dans son programme l'amélioration de son fonctionnement.
L'Europe a les outils qu'il faut pour faire face à la crise financière et économique. Elle n'est pas préparée à assumer le même rôle face à une crise sociale d'ampleur comme celle d'aujourd'hui. Ce sera aux candidats aux élections européennes et à leurs partis d'avancer des propositions. Le temps presse.
Noëlle Lenoir, est ancienne ministre déléguée aux Affaires européennes. Elle est présidente de l'Institut d'Europe d'HEC et du Cercle des Européens
http://www.hec.fr/institut-europe
http://www.ceuropeens.org