Le 31 mars, trois coquilles de noix surchargées de malheureux rêvant de l'eldorado européen ont été englouties par la tempête au large des côtes libyennes. Somaliens, Soudanais, Marocains, Erythréens, Kurdes, hommes, femmes, enfants: combien étaient-ils exactement ? Au moins trois cents, nous dit-on. Pour une fois, la télévision en a fait état: elle a pu montrer les images d'une quatrième embarcation qui, elle, avait rebroussé chemin à temps. Sinon, cette effroyable tragédie n'aurait eu droit qu'à quelques lignes plus succinctes qu'une mention ordinaire à la rubrique nécrologique.
Et pourtant, voilà des années qu'au large de Lampedusa ou des Canaries des navires de fortune sombrent avec leurs cargaisons humaines. Dans une quasi-indifférence. Il y a six mois à peine, l'Europe s'est dotée d'une politique commune de l'asile et de l'immigration; la France a désormais un Ministre de l'immigration et de l'identité nationale; nous avons créé une Agence spécialisée, Frontex, pour coordonner les contrôles en mer; nous avons des accords avec les pays de départ et de transit; nous nous gargarisons, à chaque discours, de nos valeurs communes européennes, laïques et/ou judéo-chrétiennes; la moindre manifestation de "sans papiers" suscite l'émotion d'organisations politiques ou caritatives, généreusement relayées par les grands médias: mais combien de "Titanic" faudra-t-il pour percer le mur de notre indifférence devant ces morts silencieuses qui ont la maladresse de se produire loin de toute caméra ? Ou faut-il attendre qu'Hollywood charge un James Cameron maghrébin de tourner l'odyssée tragique d'un Di Caprio africain ?
Si l'Union pour la Méditerranée se cherche un sujet d'intérêt commun, c'est bien celui-là: le drame des harraga. Ce n'est pas seulement, ni même principalement, une émigration de la misère : la moitié de ces jeunes avaient un emploi dans leur pays, plus d'un tiers ont une qualification supérieure. Mais ils ne voient pas l'avenir chez eux, pour eux-mêmes, ni, parfois, pour leur famille. Et leur désespérance est telle qu'ils sont prêts à risquer leur vie et, dans le meilleur des cas, à connaître chez nous la misère de la clandestinité, de l'exploitation, de la solitude, terrible purgatoire qui leur paraît pourtant plus léger que l'enfer d'une existence sans espoir. Quel signe d'échec pour un pays incapable de s'attacher une partie de ses enfants les plus audacieux ! Le Président algérien a eu le courage de reconnaître que ces exils massifs, le harrag, était la plus grande tragédie que connaissait son pays depuis la guerre civile.
Mais ces malheurs collectifs doivent nous interpeller nous aussi. Certes, la solution n'est pas dans l'ouverture de nos frontières, surtout au moment où la crise rend nos opinions publiques hypersensibles à toute concurrence en matière d'emploi: l'avenir de ces jeunes est chez eux. Mais nous pouvons faire plus, beaucoup plus, pour mettre un terme à ces voyages du désespoir, et mettre les Etats concernés devant leurs responsabilités envers leurs propres peuples. Peut-être le moment est-il venu d'ajouter à la liste des droits de l'homme, un droit jusqu'ici omis tellement il paraissait évident : le droit d'avoir un avenir dans son pays de naissance. Et de donner à notre politique de l'immigration le "zéro mort" comme premier objectif - avant tous les autres.
Publié sur le site d'Alain Lamassoure le 31 mars 2009.
http://www.alainlamassoure.eu/
Alain Lamassoure est député européen