"Nous sommes dans une espèce de trou. Pris entre deux trains. Celui de la propagation à l'économie réelle, que l'on voit avec la multiplication des plans sociaux, et un autre convoi qui n'est pas encore parti, celui des mesures de relance dont on ne sent pas encore les conséquences." Ce sont les mots de Bernard Gazier, économiste à l'université de Paris 1 et avec qui nous avons travaillé sur les restructurations en Europe.
Chez les autres comme chez nous - je pense à l'Espagne, qui connaît une explosion incroyable du chômage mais aussi aux pays Baltes qui n'ont pas trouvé autre chose que tailler dans le vif des emplois et des salaires, réveillant brutalement des populations que l'on croyait "soumises" - des traits communs se dessinent.
La crise du crédit perdure, symptômatique d'une confiance qui s'est brisée sur les dérives du système. Nous ne savons pas projeter un futur, en dehors d'une "croissance" verte à laquelle nous ne croyons au mieux qu'à moitié. Et nous revenons de manière inquiétante au national - ceux qui proclamaient il y a quelques mois que "le social doit rester national" sont servis ! - que l'on retrouve dans les plans de relance, mais aussi dans les réactions populaires, comme celles qui s'expriment au Royaume Uni face à des travailleurs italiens ou portugais dits "détachés".
Avons-nous tiré au moins l'expérience des crises passées ?
Pris en compte les éléments aussi structurants que nos efforts insuffisants en recherche et développement, le vieillissement de nos sociétés ou un monde devenu multipolaire ? Rien n'est moins sûr.
Prenez par exemple les restructurations. Ah ! Ils ont de la gueule nos observatoires régionaux et sectoriels, nationaux ou européens ! Regardez le secteur automobile : faute d'avoir pensé les tournants de cette industrie, nous voilà avec non pas un plan mais des plans nationaux, qui font tous dans le sauve qui peut, sans la moindre coordination ni la moindre pensée sur les conséquences extra nationales pour les voisins. L'on parle de "limiter les plans sociaux" mais est-ce pour multiplier les départs volontaires ?
Il y a des solutions parfois défendables en période de croissance qui deviennent scandaleuses lors d'une récession généralisée. Ne nous faisons aucune illusion : les volontaires d'aujourd'hui risquent d'être les chômeurs de demain. Et que dire du retour, en Espagne, en Allemagne mais aussi chez nous, des débats que l'on croyait clos sur le coût du licenciement ?
Heureusement, certains managers veulent faire autrement comme en témoignent cet appel de DRH allemands ou ce serment de Hong Kong que nous vous invitons à visionner.
L'Europe a encore manqué une occasion de faire ensemble
Tel(le) ou tel ministre la blâme de n'avoir rien su anticiper oubliant que les Etats membres semblent avoir perdu depuis belle lurette le sens d'un intérêt général européen.
Dans les recommandations qu'un groupe de 125 patriciens européens réunis sous le vocable IRENE a émis sur la gestion des restructurations en temps de crise, figure en bonne place, outre la notion de justice l'idée de création d'un fonds européen de restructurations, adossé à un code de conduite contraignant.
On en voit toute de suite quelques applications concrètes : si l'idée de chômage partiel, conjugué à un effort sans précédent de formation mais aussi de reconversion, doit s'étendre, il faudrait que tous les salariés européens puissent en profiter et non seulement ceux qui travaillent dans les pays le plus riches. Une idée à creuser, non ?
Février aura été le mois des traditionnels sommets. Celui de Davos, où l'on a entendu enfin des voix se lever pour s'interroger sur les responsabilités de la crise mais aussi sur les inégalités sociales et sanitaires qui interpellent enfin certains dirigeants économiques. Allons-nous pour autant vers une déglobalisation ? Le Forum social mondial, créé à Porto Alegre, s'est déplacé dans divers coins du globe avant de rentrer au Brésil, mais cette fois en Amazonie pour construire une bourse aux "alternatives", mot devenu central.
Chacun peut à sa manière le méditer puis le mettre en uvre, aussi modestement que cela soit, et sans ignorer les multiples contraintes économiques, temporelles ou culturelles. Mais l'alternative est, comme le dit Garcia Marquez, un chemin qui se fait en cheminant... Sidérés, oui, mais pas désespérés !
Paru le 18 février dans METIS - Correspondance européenne du travail
Claude-Emmanuel Triomphe est directeur de publication et de la rédaction de Métis
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