par Noëlle Lenoir, le mercredi 11 février 2009

Editorial de Noëlle Lenoir paru le 9 février sur le site du Cercle des européens :

http://www.ceuropeens.org



La Présidence française et surtout la crise financière, économique et sociale actuelle ont révélé un effacement de la Commission européenne. Cette évolution ne va dans le sens ni de l'intérêt communautaire, ni des Etats membres composant l'Union européenne.


La Commission européenne est sans aucun doute l'institution la plus originale de toutes les institutions communautaires ; une structure sans pareille dans le monde.

Créer une administration proprement fédérale et multiculturelle, tournée vers l'intérêt général sur le modèle de la haute fonction publique française et placée sous l'autorité de responsables politiques autonomes par rapport aux gouvernements qui les ont nommés, voilà bien une idée de génie. En conférant à ce corps de missionnaires politico-administratifs un rôle d'impulsion et de proposition, et non de décision - celle-ci appartenant aux instances issues du suffrage universel que sont les gouvernements des Etats et le Parlement européen - la méthode "Jean Monnet" a constitué pendant des années le pilier de l'intégration politique de l'Europe.

Or aujourd'hui, la Commission ne semble ne plus avoir ni les moyens, ni parfois même la volonté de jouer ce rôle moteur qui lui incombe.

J'y vois la conséquence d'une insuffisance de moyens consentis par les Etats. L'extension considérable des compétences communautaires, depuis la justice jusqu'à l'action extérieure et la défense en passant par l'environnement, le social ou la santé et même la politique énergétique (qui est de plus en plus importante bien que non mentionnée dans les traités), ne s'est pas accompagnée de la montée en puissance corrélative des dotations en personnel et en crédits indispensables. La Commission paraît s'être ainsi résigné à ne plus être entièrement maître de ses compétences.

Parmi les manifestations de cet affaiblissement, je citerai trois exemples tirés de mon expérience tant politique que juridique.

Premièrement, il n'est pas une tâche de la Commission, dans ses missions d'évaluation ou de contrôle, qui ne donne lieu au recours à un cabinet d'audit ou de conseil le plus souvent anglo-américain. Et en général, la Commission s'en rapporte aux conclusions desdits organismes...

Deuxièmement, la Commission, gestionnaire des fonds communautaires qu'elle distribue au titre de différentes politiques, n'a plus la possibilité de s'assurer véritablement de la régularité de leur utilisation. Le risque est grand s'agissant notamment de la politique régionale dont le budget va bientôt dépasser celui de la politique agricole commune (les fonds structurels représentent 308 milliards pour la période 2007/2013) Une proposition de modification de l'attribution de ces fonds, si utiles pour relancer la croissance, prévoit en effet d'obliger la Commission à financer des projets qu'elle n'a pas encore approuvés, à charge éventuellement de demander à l'Etat concerné de rembourser après coup les subventions déjà consommées… .

Troisième exemple : On cherche les cas récents dans lesquels la Commission a réellement joué son rôle d'initiative législative, dont elle a en principe le monopole. La Commission avait impulsé par exemple une harmonisation fort opportune des impôts sur les sociétés opérant dans la Communauté. Ce projet – connu sous le nom d'ACCIS (référence au site de la Commission pour le décrire) - expressément soutenu les membres du Cercle des Européens, a été suspendu sine die notamment en raison du rejet du traité de Lisbonne par les électeurs irlandais ! Mais surtout, la Commission a interprété sa mission législative comme devant la conduire à mener un vaste mouvement de dérégulation (paradoxalement intitulé "better legislation") dont on constate aujourd'hui les conséquences néfastes sur les marchés financiers.

A la fin des années 80, pour répondre aux difficultés économiques de l'époque et préparer l'élargissement, Jacques Delors, Président de la Commission européenne, avait lancé les "Paquets I et II" [1] qui ont conduit à une réforme budgétaire de la Communauté européenne et à la mise en place de la politique régionale.

Aujourd'hui, alors que la crise est bien plus grave que les difficultés d'alors, la Commission n'est pas parvenue à faire admettre un plan de relance ambitieux. Les Etats ont pu définir le leur propre sans aucune coordination, et en privant le marché intérieur d'une partie de ses effets propices au développement économique. Le plan de relance européen est dérisoire : quelques milliards d'euros pour un programme d'action, en particulier en matière d'interconnexions électriques et gazières, qui reprend peu ou prou un programme dit "quick start" initié par la Commission en 2003 et qui n'a jamais été mis en œuvre. .

Un tournant doit être pris si l'on veut sauver l'Europe de la crise. Et sauver l'Europe tout court. Ce tournant concerne notamment la Commission. L'Europe a besoin en effet pour grandir comme entité politique et économique, d'une Commission forte qui aide à transcender les divergences d'intérêts nationaux.



[1] En 1987, Jacques Delors, Président de la Commission européenne depuis 1985, lance la réforme du budget communautaire. Ce que l'on appelle le Paquet Delors I et II désigne les deux communications de la Commission présentée en 1987 puis en 1992 qui détaillent cette réforme


Noëlle Lenoir, est ancienne ministre déléguées aux Affaires européennes. Elle est présidente de l'Institut d'Europe d'HEC et du Cercle des Européens 

http://www.hec.fr/institut-europe

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