par Michel Clamen, le mercredi 21 janvier 2009

Le second semestre de 2008 a coïncidé avec des crises qu'on peut lire aussi comme des sources d'enseignements : la crise russo-géorgienne a rassemblé nos pays, d'où un renouveau diplomatique de l'Europe. La crise de la finance internationale a débouché sur un système commun d'intervention. Mis en perspective, les évènements ramènent les dossiers à leur véritable dimension : le dogme de la concurrence est suspendu, le problème irlandais se résout par des concessions…

L'Europe va–t-elle ainsi vers un nouveau modèle de gouvernance? En tous cas, c'est le retour du politique.


Avec le recul, on mesure mieux combien le second semestre de 2008 a été une période charnière. C'est d'abord dû aux circonstances : si la présidence française a beaucoup apporté, c'est à l'actif de ses dirigeants, mais surtout parce qu'elle a coïncidé avec des imprévus de première grandeur : crise russo-géorgienne qui aurait pu dériver ... crise de la finance internationale …sans parler du non irlandais, vécu dès juin comme une crise constitutionnelle.
Autant de crises, autant de révélateurs, dont on peut aujourd'hui commencer à tirer des conclusions utiles. Parmi ces enseignements, il y a des éléments positifs. Ce sont les vertus de la crise.

La première vertu d'une crise, c'est qu'elle rassemble. Depuis longtemps, l'Europe cherchait à parler d'une seule voix sur la scène mondiale, elle l'a fait. Sa réponse très volontaire à la crise russo-géorgienne a permis d'éviter le pire, les risques d'une nouvelle guerre froide. Tout est-il réglé pour autant ? non, l'accord n'est pas parfait, les engagements pris sont plus réduits que prévu et leur respect est encore fragile. Mais on a obtenu un renouveau diplomatique de l'Europe.

Le second avantage, c'est que la nécessité impose des solutions. A coups d'imagination, surtout britannique, les Etats ont fait face à la crise de la finance internationale. Ils se sont mis d'accord sur un système commun d'intervention : engagement de soutenir toute banque en difficulté, règles sur la sécurité des dépôts, création de superviseurs transfrontaliers, révisions de règles comptables… initiatives de l'équipe Europe qui ont montré sa créativité et sa solidarité.

Le troisième intérêt d'une crise, c'est de remettre les évènements en perspective et de ramener les dossiers à leur véritable dimension. Ainsi en est-il du dogme de la concurrence. Ce principe hier encore supposé intangible cède devant d'autres priorités. Au-delà des préoccupations classiques visant un « marché parfait », on a été amené à dépasser le droit : à circonstances exceptionnelles, mesures exceptionnelles et « les traités sont faits pour les temps calmes ». En pratique, les décisions en la matière seront « plus fluides » - entendez : les contraintes de concurrence sont suspendues.
Quant au problème irlandais, il apparaît de plus en plus que ce n'était, à ce stade, qu'une péripétie soluble dans des précautions cosmétiques : affirmer que le traité n'obligera pas à autoriser l'IVG n'était pas juridiquement nécessaire ? Mais, après tout, si les Irlandais estiment que ça va encore mieux en le disant …. De telles concessions ont permis de rallier son gouvernement à l'idée d'un nouveau referendum. Reste à décider le peuple.

Tout cela dans la hâte, car en crise, on ne peut attendre. Si, pour « la vieille Europe », le monde en bonne marche va déjà vite, un monde en crise dicte l'urgence. Cela explique la démarche de la Présidence française : initiatives tous azimuts, méthode du fait accompli, accélération des débats : pas question de « négocier jusqu'à 4 heures du matin pour trois cacahuètes » . Les inconvénients ? frustrer nos partenaires, bien sûr ; mais aussi s'aventurer dans des voies mal explorées - tel qui se voulait Prométhée risque de se réveiller pyromane. La justification ? la cohésion européenne a été relancée.

Plus sérieusement, les crises se sont accompagnées clairement d'une remontée de l'Europe des Etats, favorisée par les méthodes de la Présidence. L'effacement de la Commission, qui s'set laissée cantonner dans un rôle mineur, est allé dans le même sens.

Sommes-nous ainsi en présence d'un modèle durable de gouvernance pour l'Europe ? Ou simplement d'un effet passager de fortes personnalités ? De toutes façons, la crise continue ; personne ne sait jusqu'où elle va nous mener, mais une chose est sure : le politique est de retour. Qui s'en plaindrait ?



Michel CLAMEN est Professeur à l'Institut catholique de Paris 

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