Quelque chose ne tourne plus rond dans le management à la française. Selon la dernière étude réalisée fin 2009 par la Sofres pour le cabinet Altedia seuls 42,7 % de salariés du privé - et à peine 30% des fonctionnaires - déclarent avoir confiance dans les dirigeants de leur entreprise ou de leur administration. En outre, une autre étude menée par Ernst & Young indiquait que l'intégrité des dirigeants était plus largement mise en cause en France que dans le reste de l'Europe : seuls 12% des salariés français pensent que leurs dirigeants font toujours preuve d'un niveau élevé d'intégrité.
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S'agit-il donc d'un mal français ?
D'autres pays se posent bien sûr des questions et la polémique sur les bonus est internationale. Metis a interrogé plusieurs de ses correspondants européens. Le comportement des dirigeants de très grandes entreprises et autres rémunérations - au regard de l'écart qui s'est tissé depuis 20 ans dans les entreprises- est sévèrement critiqué. Mais de crise managériale, point.
Notre collègue suédois nous apprend deux choses que l'on pourrait méditer en France : la notion de management, qui s'apparente à du contrôle, à de la surveillance ou à toutes ces sortes de choses un peu antinomiques de la confiance, est dépassée ! Ce qui compte, c'est la capacité à entraîner ce qu'ils appellent le leadership ... Et d'un. Par ailleurs, les dirigeants suédois sortent tous de l'université, gratuite, et la Suède ne connaît pas ce système dual grandes écoles/universités si discriminatoire malgré les tentatives de rectification et l'objectif désormais affiché de devoir accueillir d'ici 3 ans un tiers de boursiers (on demande à voir !). Et de deux.
Revenons donc à la France : pourquoi y a-t-il - à l'exception très notable des petites entreprises - une telle rupture de la confiance entre les salariés et leurs dirigeants ?
De quoi est faite cette incompréhension face aux orientations stratégiques de leurs entreprises ? Pourquoi cette crise est encore plus sévère dans le secteur public, où s'applique de façon aveugle une révision générale des politiques publiques élaborée et mise en uvre en contredisant à peu près tous les principes de gestion responsable du changement que l'Etat continue à prôner dans le privé ? Faut-il aller jusqu'à parler comme le fait Pierre Gojat, de l'Observatoire du stress et des mobilités forcées de France Telecom de maltraitance managériale ?
Plusieurs contributions dans notre dossier s'y attèlent. La France est-elle victime de son système monarchique et hiérarchique dépassé, d'un modèle " militaire" dont l'armée se serait d'ailleurs éloignée et qui tendrait à dépersonnaliser le travail et à priver les salariés de leur "quant à soi" comme nous le dit Frédéric Mispelblom-Beyer ? Sommes-nous dans une crise politique et morale du capitalisme où les pratiques de pouvoir - mais aussi de contre -pouvoir - seraient trop en rupture avec les finalités d'émancipation de l'individu comme se risque à le penser Henri Vacquin dans sa critique des postulats ultra libéraux ? Quid de ces encadrants qui n'ont plus idée de ce qu'ils encadrent, de ce sur-reporting, de cette sur-gestion qui voulant tout appréhender dans l'instant serait contraire au véritable management, celui qui donne du sens et ne se conçoit que dans la durée ? Il y a de cela dans la thèse de Xavier Baron qui se plaît à rêver de réenchanter l'entreprise par le management... Peut-être faut-il regarder aussi les choses par des gestes de base ? A condition évidement que l'on ne pense pas se débarrasser de la question par un sourire et un bonjour le matin pour introduire plus de zénitude et de bravitude (2) au travail ! La pratique du mentoring au Royaume-Uni semble positive et plus substantielle que le fameux tutorat. Côté secteur public, tout espoir n'est pas perdu pour Brigitte Rorive qui travaille dans les hôpitaux (de Genève mais lisez ce qu'elle écrit et ça pourrait se passer dans bien des endroits en Europe !). Dans un précédent article elle nous avait montré combien le client était au centre du travail. Aujourd'hui elle est convaincue que l'on peut allier meilleure qualité des soins, prise en compte du patient et réduction des coûts. On voudrait y croire... Comme on aimerait suivre le raisonnement de Rodolphe Christin sur l'intégration des handicapés comme signe de la performance organisationnelle !
Le débat est loin d'être clos et les angles sont multiples. Il se poursuivra dans nos prochaines éditons et, rien ne vous interdit d'y contribuer par des témoignages ou par des analyses : écrivez-nous !
Claude-Emmanuel Triomphe est directeur de publication et de la rédaction de Metis.
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