par Alain Lamassoure, le lundi 11 janvier 2010

A la faveur d'un voyage familial pour les fêtes de fin d'année, j'ai retenu quelques impressions sur les divergences et les convergences d'état d'esprit des deux côtés de l'Atlantique.


Ni le réchauffement climatique, ni la menace de la grippe ne revêtent, aux Etats-Unis, le caractère obsessionnel qu'ils ont chez nous. En revanche, la préoccupation du moment est la qualité des repas dans les cantines scolaires : le Département de l'Agriculture s'est rendu compte que les normes d'hygiène des réseaux de fast food étaient bien plus strictes que les siennes. Michelle Obama a été obligée d'aller prendre son repas dans une cantine de Virginie pour rassurer les parents inquiets, tandis que le Congrès s'apprête à rendre obligatoire par la loi les normes de Mc Do. José Bové va-t-il aller détruire symboliquement une cantine de maternelle aux USA abhorrés ?

Contrairement à l'idée superficielle que l'on se fait volontiers chez nous du laxisme américain envers les banques, le New York Times s'est lancé dans une campagne féroce contre la puissante Goldman Sachs. Il a établi que la banque, qui a traversé sans dommage la crise financière et qui a fourni quelques uns de ses plus proches conseillers à Barack Obama, n'a pas hésité à spéculer contre … ses propres clients. En jouant à la baisse les valeurs qu'elle leur recommandait ! Décidément, les dirigeants européens ont raison de rappeler que le monde financier a besoin d'une moralisation qui dépasse largement le problème du niveau des bonus individuels des traders.

Jamais la criminalité n'a été aussi basse à New York : le niveau des homicides a été divisé par quatre depuis 1990, tombant en-dessous de celui d'il y a quarante ans. Ce résultat est d'autant plus impressionnant que, depuis 2001 le nombre de policiers locaux a été réduit de 6 000 et que tout le monde pensait que la crise économique aurait des effets criminogènes. Les résultats sont tout aussi satisfaisants à Los Angeles, San Francisco, Atlanta et Chicago, c'est-à-dire dans les autres villes les plus concernées par les vagues migratoires et les plus touchées par le crime organisé.

Même si la Chambre des Représentants et le Sénat ont adopté un texte assez différent, qu'il faut maintenant transformer en compromis acceptable par les deux assemblées, la réforme du système de santé voulue par Barack Obama est désormais en bonne voie. Elle laissera encore sur le bord du chemin plus de 10 millions d'Américains. Saluons le progrès par rapport à la situation actuelle, qui voit 45 millions d'entre eux échapper à une garantie d'assurance santé. Mais on regrettera pour nos amis d'outre-Atlantique qu'ils se soient contentés d'étudier les systèmes repoussoirs du Canada et de Grande-Bretagne, sans s'intéresser au modèle français qui est, en l'espèce, sans doute l'un des meilleurs du monde.

Sur les chemins de fer, là aussi, nous avons chacun à apprendre à l'autre. Nous pourrions nous inspirer du système américain de transport de marchandises, où le rail a su conserver une place considérable, alors que la SNCF est en faillite complète en la matière. En revanche, sur le trafic voyageurs entre grandes villes, faute de TGV la société Amtrak ne parvient toujours pas à honorer les engagements qu'elle avait pris il y a déjà trente ans de relier New York et Washington en 2 heures et demie, et en 2009 toutes ses lignes voyageurs ont perdu de l'argent.

Enfin, en politique, ce qui se passe en Amérique contient des enseignements intéressants pour nous aussi.

Une bonne nouvelle : après une campagne d'une grande qualité, les habitants de Houston, Texas, 4e ville des Etats-Unis, ont élu maire un ancien contrôleur de gestion de préférence à un ancien juge. Un choix compréhensible et, sans doute, raisonnable en ces temps de crise financière. L'élue est une homosexuelle avouée, son adversaire malheureux était un Noir : à aucun moment ces données personnelles n'ont été évoquées dans ce bastion des valeurs traditionnelles de l'Amérique.

Un avertissement : les dysfonctionnements finalement peu démocratiques auxquels aboutissent les excès de la démocratie directe. Le droit d'initiative populaire, permettant de soumettre directement au référendum des propositions ayant reçu un nombre suffisant de signatures de simples citoyens, existe dans deux douzaines d'Etats. Née d'abord dans le Dakota du Sud, puis fortement développée en Californie, cette pratique a permis de remédier à des cas de blocages politiques par manque de courage des gouvernants locaux. Mais, avec le temps, elle s'est pervertie. Les lobbies n'ont eu aucun mal à financer des campagnes démagogiques d'information ou de désinformation, pour faire décider des actions coûteuses, tandis que les associations de contribuables faisaient voter des baisses d'impôts ! Au bord de la faillite financière, la Californie ne peut plus augmenter ses recettes, la calamiteuse « proposition 13 » de 1978 exigeant une super-majorité de députés pour faire voter une augmentation fiscale. Plus grave encore : la formule tend à inciter une majorité à nier les droits des minorités qui lui déplaisent. La démocratie participative est une belle aspiration. Mais elle reste à inventer.

Paru le 4 janvier 2010 sur le site d'Alain Lamassoure

http://www.alainlamassoure.eu


Alain Lamassoure est député européen

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