par Bruno VEVER, le mardi 03 février 2015

La victoire de la gauche radicale Syriza aux élections nationales grecques du 25 janvier constitue une surprise depuis longtemps annoncée, ce qui ne l'empêche pas d'être passionnément commentée. Déjà en tête des élections européennes du pays en mai dernier, Syriza aura surfé efficacement sur une vague de mécontentement qui n'a cessé d'enfler face à la potion amère administrée par les précédentes coalitions gouvernementales d'Antonis Samaras (réduction des salaires tant publics que privés, hausse des prélèvements fiscaux et sociaux, prestations publiques en baisse, biens et services publics mis à l'encan, voire bradés au tout venant), comme au manque d'effet perceptible de ces mesures pour rétablir la situation (cf. récession, chômage, faillites, émigration des jeunes).


Passant de 3% des voix lors de sa création en 2004, et à peine 5% en 2007, à cette arrivée au pouvoir en 2015 avec l'appoint occasionnel d'autres souverainistes, le nouveau, jeune et contestataire premier ministre Alexis Tsipras entend bien rebattre les cartes de son pays face à ses partenaires européens. Il n'a nulle intention pour autant de quitter la table de jeu, ayant écarté d'emblée toute sortie unilatérale de l'euro. Il réagit comme un joueur de bridge lassé d'occuper la place du mort face à une troïka qui confisquerait à ses dépens la partie et les mises. Et il entend à présent reprendre ses cartes pour une revanche agressive au poker !

Il escompte bien, ce faisant, se rallier les sympathies, dans tous les sens du terme, d'autres partenaires de l'euro également en difficulté, notamment du Sud : son appel à rééquilibrer une conception un peu trop germanique des politiques budgétaires n'est effectivement pas une revendication sans échos ! La France elle-même y est d'autant moins insensible qu'elle n'est pas parvenue, malgré les promesses de François Hollande, à renégocier le traité Merkel de rigueur budgétaire. Elle pourrait trouver avantage à occuper une place de médiateur actif entre Athènes et Berlin, à condition de veiller, comme le risque existe bel et bien, à ne pas s'y brûler les doigts !

Sur le plan interne, Alexis Tsipras a déjà voulu démontrer que son changement « c'est maintenant », en réinjectant une part de pouvoir d'achat en direction de ses électeurs, dont le niveau de vie a chuté d'un quart en cinq ans. Il bénéficie, pour financer ces mesures, d'un bouclier financier temporaire sur la lancée des aides et garanties européennes obtenues par ses prédécesseurs. Mais il déclare vouloir compenser le surcoût de ses mesures sociales, et sauvegarder l'appui des aides européennes, en engageant une lutte sans merci contre la fraude fiscale et les clientélismes en tous genres, qui sont effectivement depuis longtemps le « talon d'Achille » de l'économie et des finances publiques grecques, d'ailleurs tout autant dénoncé par les bailleurs européens, toutefois moins empressés à démanteler les filières européennes d'évasion et d'optimisation fiscale...

Sur le plan externe, la priorité d'Alexis Tsipras est de renégocier les conditions du redressement économique et social grec, en desserrant la brutalité de l'étau de rigueur imposé par la troïka européenne en échange des aides. A ces fins, il n'a pas hésité à rompre brutalement le dialogue avec une troïka jugée aussi antinationale que technocratique pour réamorcer un autre dialogue sur un autre terrain et avec d'autres interlocuteurs, à travers une tournée des capitales européennes commençant bien sûr par celles du Sud les plus ouvertes à ses vues. Rien ne paraît écarté de sa part pour déstabiliser Berlin, y compris un devoir de mémoire d'exactions et de spoliations sous l'occupation allemande justifiant des compensations pour la dette grecque.

Bien évidemment, ce basculement grec risque de provoquer un effet de contagion dans d'autres pays européens en difficulté, à commencer par l'Espagne où le mouvement des indignés Podemos escompte bien bouleverser la donne des prochaines élections nationales qui auront lieu d'ici la fin de l'année. C'est donc non seulement la question d'une relance de l'économie mais bel et bien celle d'une relance de la crise de l'euro qui se trouve aujourd'hui posée à tous nos dirigeants !

Mais ce nouvel épisode d'une sempiternelle crise de l'euro peut et doit tout autant activer la maturation des bonnes réponses trop longtemps reportées à de vraies questions, aujourd'hui clairement posées par Tsipras à défaut des réponses. Car tant qu'on s'obstinera à prétendre n'apporter aux problèmes européens de l'euro que des réponses nationales, qu'elles soient orientées à droite comme on le prône à Berlin ou à gauche comme à Athènes, on continuera à se tromper d'exercice…

Après avoir perdu quinze ans à s'endormir sur l'union monétaire, et à attendre une répétition des crises pour improviser une répétition des sauvetages, il est vraiment temps d'aborder sans plus d'échappatoires les questions urgentes d'une véritable politique financière commune, d'un encadrement fiscal européen, d'une mutualisation ciblée des dépenses publiques comme d'une relance de l'intégration économique et sociale. Seules des réponses solidaires à ces questions permettront de réconcilier non seulement la Grèce et l'euro, mais toute l'Europe et l'euro.

Sommes-nous prêts à pareilles avancées dans notre contradictoire fédération monétaire d'Etats nations toujours cramponnés à leurs souverainetés économiques, budgétaires, fiscales et sociales ? L'heure presse de choisir la plus nécessaire des solutions, c'est-à-dire le développement de nouvelles solidarités autour de l'euro. Sinon l'histoire choisira pour nous la plus mauvaise d'entre elles, c'est-à-dire la faillite de l'euro, le repli sur soi et la déroute programmée des pays européens face à la globalisation.


Bruno VEVER est délégué général d'Europe et Entreprises et secrétaire général de l'Association Jean Monnet

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