par Xavier Grosclaude, le 21 mars 2022
En envahissant l’Ukraine, le régime russe a réussi non seulement à s’aliéner la nation Ukrainienne mais il a aussi réussi à tirer l’Union européenne de sa légendaire torpeur sur les sujets de souveraineté. Sans le vouloir, et ce n’est pas le moindre des paradoxes de cette séquence, la Fédération de Russie conforte la vocation historique de l’Union européenne, pacifier le continent européen sur une base politique et économique libérale dans un cadre démocratique.
La guerre déclarée par la Russie, deuxième puissance nucléaire au Monde à un « peuple frère » de culture slave ouvre une nouvelle ère des relations internationales aux multiples inconnues pour le continent européen mais pas seulement…
En ce 24 février 2022, la fiction d’une Russie agressée par l’OTAN a servi de prétexte à Vladimir Poutine pour attaquer frontalement la démocratie ukrainienne. Cette agression restera dans l’Histoire car au-delà du cas ukrainien, elle jette une lumière crue sur une réalité longtemps ignorée dans les capitales européennes, le régime russe est en guerre totale contre l’Union européenne depuis vingt ans maintenant.
Duplicité oblige, le régime poutinien a toujours fait semblant de ne pas l’être, les décideurs européens, soucieux de gérer le présent et de ménager les susceptibilités moscovites, faisaient semblant de le croire en misant sur une démocratisation de la Russie par le commerce, erreur d’analyse mortelle pour une tragédie prévisible.
Ironie de l’Histoire, au XXème siècle, l’Union Soviétique s’est écroulée en quelques heures sans un coup de feu, sans une goutte de sang. Les historiens retiendront qu’au XXIème siècle, l’Union européenne a décidé en quelques heures de mettre fin à une cécité coupable sans un coup de feu, sans une goutte de sang, c’est aussi cela la force de la démocratie européenne et le souffle puissant de la liberté !
La cohésion et la détermination de l’Union européenne n’a jamais été aussi forte
En violant pour la deuxième fois l’intégrité territoriale d’un pays démocratique et souverain, le régime russe a fait sauter en quelques heures des obstacles, jugés hier, à jamais insurmontables. Parmi ces obstacles, il faut citer le pacifisme culturel de pays comme l’Allemagne ou la Suède, les hésitations du Danemark sur son engagement militaire dans le cadre de l’Union, le refus d’une réelle autonomie de l’Union en matière de défense ou les préventions relatives à tout nouvel élargissement de l’Union européenne.
Même la Suisse, pays neutre en délicatesse avec l’Union européenne, s’est alignée sur ses positions en matière de sanctions financières et commerciales. Quant à la Finlande, son adhésion à l’OTAN n’est plus un sujet tabou. Enfin, la Pologne a remisé sans conditions toute idée de sortie de l’Union pour accueillir avec hospitalité les premiers réfugiés ukrainiens.
En France, il y a quelques jours encore, plusieurs candidats à l’élection présidentielle fascinés par la dictature poutinienne et sa « verticale du Pouvoir » nous expliquaient doctement que la soumission aux obsessions territoriales du Président russe était la voie royale à emprunter pour assurer l’indépendance et la sécurité de la France, quelle clairvoyance !
Partant d’une approche erronée mais largement diffusée par la Russie au sein de l’Union, à savoir que les intérêts de la Fédération de Russie seraient par nature supérieurs aux nôtres, l’annexion de la Crimée par la force en 2014 et l’occupation par procuration de la Région du Donbass furent souvent présentée comme une résurgence, passagère et sans danger, de la doctrine brejnévienne de la « souveraineté limitée » au même titre que la captation par Moscou d’une partie du territoire de la Géorgie à hauteur de de vingt pour cent ou de la Moldavie avec le précédent ô combien éclairant de la République autoproclamée de Transnistrie en …1991.
Ni les bombardements meurtriers opérés en Tchétchénie (Grozny) et en Syrie (Alep, Idlib), ni la désinformation massive des démocraties occidentales alimentée par des organes de propagande aux ordres du Kremlin (Russia Today, Sputnik…) et des usines à trolls basées à Saint Pétersbourg, ni la mise sous tutelle de la Biélorussie avec un Président fantoche otage du Kremlin, ni la reprise en main du Kazakhstan via l’Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC) ne furent analysées comme des composantes de la guerre totale menée par le régime russe contre l’Union européenne en particulier et l’Occident en général.
Mieux vaut tard que jamais, tous les « candidats patriotes », pétris d’admiration pour le « rempart Vladimir », contre l’islamisme viennent subitement de réaliser que le credo des combattants tchétchènes envoyés par Ramzan Kadyrov en Ukraine, au nom du Coran, pour « buter » les infidèles ukrainiens, s’inspire très peu de la Bible et encore moins des « valeurs chrétiennes ». Les mêmes viennent aussi de découvrir la réalité du « pacifisme » russe avec l’utilisation d’armes thermobariques contre des civils innocents et l’opposition du régime russe à toute vraie solution humanitaire à Marioupol pour un massacre à huis clos de civils innocents comme à Alep…
Quant au soutien de la Gauche radicale à l’action du Tsar Poutine, il procède comme toujours d’un aveuglement motivé par des considérations fossilisées dans un passé condamné par l’Histoire (une première fois en 1989 puis définitivement en 1991).
La nation ukrainienne est au rendez-vous de l’Histoire européenne
En envahissant l’Ukraine, après avoir annexé une partie de son territoire (Crimée et Donbass) en violation du droit international, Vladimir Poutine a non seulement perdu définitivement l’Ukraine dont il a manifestement sous-estimé le goût pour la liberté mais il a aussi précipité la Fédération de Russie dans une véritable impasse.
Pour une petite victoire militaire sans gloire, au regard des forces en présence (rapport de 1 à 5 en faveur de l’armée russe), Vladimir Poutine devra assumer devant l’Histoire le déshonneur d’une défaite politique dont le patriarcat de Moscou sera la première victime collatérale et la Chine, le grand vainqueur final si cette dernière prend ses distances avec Moscou … De surcroit, s’il est très facile pour un pays de déclencher un conflit armé en envahissant un pays tiers, il est toujours plus difficile de savoir quand et comment il s’arrêtera…
Si la guerre en Ukraine satisfait les ultra-nationalistes russes favorables à une vie autarcique du pays, vie à laquelle la Russie se prépare depuis 2008 (projet de rouble numérique, existence d’un internet russe techniquement déconnectable du réseau mondial, réarmement militaire, indépendance agricole…), l’institution militaire reste peu sensible, depuis l’Afghanistan, aux charmes de la guérilla urbaine et encore moins aux défilés des Comités des mères dans les principales villes russes.
Le recours systématique à la milice paraétatique Wagner, créée par un néonazi russe pro poutinien et à des mercenaires syriens, est révélateur des dérives d’un Etat voyou à la nation composite prêt à tout pour assurer sa survie y compris par l’usage d’armes chimiques et nucléaires à des fins tactiques.
Quant à la société civile, si elle peut se lasser d’un règne solitaire marqué par une corruption endémique et la répression brutale de toute contestation, il convient de ne pas sous-estimer son inertie dans un « État policier » à l’information verrouillée par les médias officiels. Seuls les « intellectuels » au sens large du terme (artistes, universitaires, écrivains …) peuvent se permettre une certaine dissonance avec le Pouvoir à la différence des oligarques piliers d’un écosystème népotique fondé sur la spoliation de la population.
Une dictature peut toujours être renversée par ses sujets mais cela suppose une opportunité pour le plus grand nombre, la volonté d’une minorité et une soif de liberté capable de transcender la peur. Puisse le courage de la nation ukrainienne embraser la Russie mais l’heure n’est pas au romantisme. En Iran, les forces politiques (communistes, socialistes, libéraux) favorables au renversement du Shah en 1979 et au retour de l’ayatollah Khomeiny dans son pays avaient toutes parié sur une « transition religieuse » de courte durée. La dictature théocratique des ayatollahs est toujours en place quarante-trois ans après… Reste un élément difficile à appréhender, l’onde de choc de la vérité sur la population russe, notamment la jeunesse, lorsque le vernis du mensonge d’État sur la réalité ukrainienne va commencer à craquer.
Le combat de la nation ukrainienne pour sa liberté et la démocratie est notre combat. C’est un combat européen. Ne nous y trompons pas, en optant pour l’invasion et la destruction de l’Ukraine, Vladimir Poutine a opté pour l’intensification d’une guerre totale contre le modèle démocratique incarné par l’Union européenne, un modèle qu’il excrète plus que tout ! Il y voit faiblesse et décadence, il devra composer avec courage et résistance.
Le Président de la Fédération de Russie n’est pas un joueur d’échecs mais un judoka. Il sait exploiter la force et les faiblesses de ses adversaires pour les faire chuter. Vladimir Poutine a cru déceler dans le marasme politique post-référendaire du Royaume-Uni, la gouvernance de l’Allemagne par une nouvelle coalition tripartite, les impératifs de la campagne présidentielle française, les turbulences de la démocratie américaine et les tensions dans les Balkans, un contexte favorable à une prise de risques maximum après une séquence de politique intérieure désastreuse avec la gestion calamiteuse durant deux ans de la crise sanitaire liée au coronavirus dans le pays.
Contrairement aux apparences, l’invasion de l’Ukraine ne constitue pas un virage de la part du Kremlin. Il ne s’agit pas du passage d’une stratégie de guerre limitée à une stratégie de guerre totale. Elle traduit uniquement un changement d’intensité dans une stratégie de guerre totale, hier souterraine désormais dans la lumière, une guerre revendiquée contre l’ordre international établi et la domination de l’Occident.
La diplomatie du fait accompli non négociable pratiquée par le Kremlin, la création de crises migratoires artificielles aux portes de l’Union pour la déstabiliser (avec le concours au sein de l’Union de forces politiques acquises à la Russie aux deux extrêmes de l’échiquier politique ), le soutien actif de revendications sécessionnistes dans les Balkans illustre la capacité de nuisance d’un pays dont la volonté est aussi de remettre en cause l’ordre européen au niveau régional.
La peur entretenue à dessein et de manière récurrente par les autorités russes d’une possible utilisation de l’arme nucléaire en cas de réaction de l’Union européenne (dans le cadre ou en dehors de l’OTAN) et la délégitimation parallèle par tous les moyens (désinformation, déstabilisation, désorganisation notamment via des cyberattaques visant des infrastructures critiques) de la démocratie au sein de l’Union participe également de cette ambition.
Si certains doutent encore des actions de guerre totale décidées au Kremlin, il suffit de jeter un regard en arrière. L’élection de Donald Trump, candidat officieux de la Russie, s’est terminée par la prise du Capitole, insurrection programmée par l’extrême-droite américaine prorusse, qui a failli sonné le glas de la démocratie américaine. Seule la dignité du Vice-président, Mike Pence, a évité au Monde un tremblement démocratique de très forte magnitude.
En France, outre le saccage inédit de l’Arc de Triomphe, les leaders du mouvement «spontané » de contestation sociale, né en novembre 2018, n’ont jamais caché leur tropisme russe, ni leur intention de marcher sur l’Elysée…
A l’échelle européenne, si le retrait du Royaume-Uni de l’Union n'a pas eu l’ « effet domino » escompté, force est de constater que le Kremlin soutient tous les mouvements politiques, sans distinction partisane, désireux de voir leur pays quitter l’Union européenne et… l’OTAN. Dans le même temps, la Russie a procédé à l’implantation massive, depuis 2016, de missiles Iskander à charges nucléaires dans l’enclave de Kaliningrad, annexée par l’URSS après la seconde guerre mondiale, capables d’atteindre des villes européennes comme Berlin.
Le combat pour la liberté est un combat noble et juste. Il est aujourd’hui déterminant pour l’avenir du continent européen. Sachons le mener avec courage, détermination et discernement. La guerre menée par l’Ukraine pour répondre à l’agression russe n’est pas dirigée contre le peuple russe mais pour son indépendance contre un régime dictatorial (népotique, liberticide et criminelle ) enfermé dans une logique impériale d’un autre âge.
La négation par Vladimir Poutine de la nation ukrainienne et de la démocratie ukrainienne s’étendra demain à d’autre pays européens (voire à d’autres continents). Le tort de l’Ukraine n’est pas d’avoir voulu rejoindre une alliance militaire défensive -sujet tranché et sans actualité depuis 2008- mais d’avoir regardé vers Bruxelles et non vers Moscou, la troisième Rome !
Ne jamais l’oublier, l’agression de l’Ukraine se situe dans une confrontation idéologique existentielle pour la Russie. Le message envoyé est d’abord envoyé à l’Union européenne, pas à l’OTAN. Elle s’inscrit globalement dans la continuation d’une stratégie d’implosion de l’Union en faveur d’une atomisation du continent européen pour mieux le dominer avec en fond le rejet intégral des valeurs occidentales au premier rang desquelles la liberté et l’égalité.
Il y a dans les discours du Président à vie Poutine sur l’Ukraine un profond mépris pour les Ukrainiens considérés comme par le Kremlin comme des « sous-slaves » félons à la cause de « la mère patrie » .
Au regard de la gravité du moment, le temps n’est plus aux réflexions byzantines sur les intentions de Vladimir Poutine désormais limpides mais à la cohésion européenne et à l’action. Il revient aux décideurs européens de définir rapidement une nouvelle matrice intellectuelle pour gagner en unité, en efficacité et en proactivité.
La réflexion stratégique de l’Union, trop longtemps égarée dans des non-choix en matière de défense européenne et d’autonomie (renseignement, armement , commandement, engagement), ne peut qu’y gagner.
Une nouvelle matrice s’impose car le logiciel (politique, économique, technologique…) actuellement utilisé par l’Union européenne comportent de trop nombreux bugs. Dit autrement, une refonte doctrinale s’impose avec un corpus idéologique renouvelé pour cultiver une unité offensive (et pas uniquement défensive) en phase avec les nombreux défis à relever dans un nouveau Monde pas plus instable qu’hier mais beaucoup moins lisible.
Le temps des réformettes est révolu. Cette nouvelle matrice doit enclencher une véritable métamorphose de l’Union avec un seul et unique objectif lui permettre de devenir un acteur mondial (ce qu’elle est déjà mais de manière très incomplète) de plein exercice, indépendant, au service d’un modèle politico-économique propre défendu dans le Monde sur la base de ses valeurs (libéralisme, pluralisme, humanisme).
Il est temps pour les pays de l’Union européenne de se penser comme Européens sur le plan politique, diplomatique et militaire et d’agir sur la base d’une doctrine européenne au services de ses intérêts. Nous ne sommes ni américains, ni chinois, ni indiens, ni russes mais européens ! Si l’Union européenne et les Etats-Unis d’Amérique sont des alliés historiques, il va sans dire que nos intérêts peuvent parfois être divergents. Nous devons désormais assumer ces divergences avec lucidité car être alliés, c’est certes coopérer mais c’est aussi savoir défendre avec assertivité des positions conformes à nos intérêts.
Une Union européenne solide, c’est l’intérêt bien compris de l’Union européenne mais aussi et surtout des Etats-Unis d’Amérique. En effet, si l’Asie est désormais la priorité de tout locataire de la Maison Blanche, l’Amérique Latine de plus en plus travaillée par la présence technologique chinoise (Argentine, Brésil, Bolivie, Chili, Equateur, Pérou …) et politique russe risque de s’inviter avec fracas dans la vie politique américaine. Malgré les réserves exprimées par la diplomatie américaine sur l’opportunité d’un tel déplacement, Jair Bolsonaro n’a pas annulé sa visite à Moscou, juste avant le déclenchement des hostilités en Ukraine sachant que la Mission des Etats-Unis d’Amérique à Brasilia n'a toujours pas d'ambassadeur depuis plus de dix mois. Par ailleurs, à l’ONU, parmi les pays qui se sont abstenus de condamner la Russie pour l’invasion de l’Ukraine, personne ne peut ignorer des pays significatifs comme l’Afrique du Sud, l’Algérie, la Chine, l’Inde, le Pakistan ou le Mali.
La guerre déclenchée en Ukraine ne signifie en rien le retour des Empires, logique obsolète et sans avenir, mais l’avènement d’un « monde datacentré », multidimensionnel et glocal, un monde à la mondialisation recentrée et au fonctionnement reticulaire. Multidimensionnel car la maitrise des espaces (terrestre, maritime, aérien, extra-atmosphérique, cyber…) est désormais d’intérêt vital pour tout pays avec l’obligation de conjuguer le global (glo) et le local (cal) non pas dans un fonctionnement vertical mais en réseau. Dans cette nouvelle configuration, l’Union européenne a vocation à prendre pleinement en main son destin et le destin du continent européen.
Dans une logique de guerre totale, il est important de toujours penser l’impensable et d’avoir des objectifs clairs, compris et partagés par l’ensemble de la population mais aussi connus de nos interlocuteurs.
Le régime russe va tout faire pour forcer la diplomatie internationale à accepter la mise sous tutelle russe (directe ou indirecte, totale ou partielle ) de l’Ukraine. Quel que soit le cas de figure retenu, l’Union européenne doit clairement s’y opposer. Au regard de la menace, il nous faut absolument remonter le niveau de nos exigences pour une sortie par le haut du conflit conforme à nos intérêts.
La sécurité du continent européen ne peut plus se satisfaire de la remise en cause de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de pays démocratiques par des dictatures. Le massacre de populations civiles innocentes pour satisfaire l’hubris de dirigeants russes à la fortune mal acquise et au comportement criminel n’est plus acceptable.
Au regard d’une crise structurante pour le XXIème siècle, l’Union européenne doit de manière concomitante renforcer sa cohésion pour pouvoir intégrer de nouveaux pays et se repositionner rapidement pour gagner en indépendance (militaire, alimentaire, énergétique, technologique, scientifique…) et gagner en influence dans le Monde.
La nouvelle feuille de route de l’Union européenne doit être exigeante car le moment l’est. La guerre menée par la Russie en Ukraine est la guerre d’un pays aux abois socialement, politiquement et économiquement, la guerre d’un pays contrarié par l’attractivité pacifique de l’Union européenne et la montée en puissance irrésistible d’un voisin, la Chine, dont la domination sur la Russie est inévitable.
Comme en en RDA à partir de 1949, il ne serait pas illogique d’assister dans les semaines à venir au départ massif, via la Finlande, de jeunes russes désireux de fuir un régime condamné à s’inspirer au mieux du modèle sociétal en vigueur en Chine, au pire à celui en œuvre en Corée-du-Nord.
A la lumière du conflit en cours en Ukraine, la position de l’Union européenne doit être claire en affirmant solennellement plusieurs éléments de doctrine intangible pour le présent et l’avenir. Quels sont-ils ?
- Il revient à la diplomatie européenne de rappeler en toutes occasions que la défense des idéaux constitutifs de l’Union européenne en faveur de pays libres gérés par le Droit dans un cadre démocratique sera toujours sa priorité. Dit autrement, le corpus politique de l’Union européenne fondé sur le libéralisme (politique et économique), le pluralisme et l’humanisme n’est pas négociable ni sur le continent européen, ni en dehors.
- L’attachement de l’Union européenne au multilatéralisme n’est pas non plus négociable. A ce titre, l’Union doit d’œuvrer rapidement au renouveau du multilatéralisme au niveau mondial en proposant rapidement une refondation de l’Organisation des Nations Unies (y compris du Conseil de Sécurité) dont l’existence est de plus en plus virtuelle avec un fonctionnement léthargique quand il n’est pas totalement surréaliste.
- Le réalisme doit devenir l’ADN de la diplomatie européenne avec le « parallélisme des formes » . Comment l’Union européenne a-t-elle pu tolérer sur son sol des organes de propagande russe comme Russia Today et Sputnik ? S’agissant de la Chine, outre l’existence de la Base 311, comment l’Union peut-elle tolérer sur son sol des Instituts Confucius, courroies de transmission du Parti Communiste Chinois hostiles à nos valeurs ?
La mission de ces Instituts en lien avec certaines Université françaises n’est pas l’enseignement du mandarin mais la maitrise du discours sur la Chine en invitant à une « autocensure harmonieuse » de la Recherche au profit d’un narratif alternatif officiel écrit de A à Z à Pékin … Cela n’est pas acceptable au regard de la dictature digitale mise en œuvre en Chine. L’entrisme chinois est aussi dangereux que l‘entrisme russe pour la France et l’Union européenne.
Le réalisme diplomatique commande à l’Union européenne de maintenir un canal de communication avec tous les dirigeants de la planète. Il lui commande aussi dire STOP de manière explicite à la politique du chaos, de terreur et de nuisance (à défaut de puissance) du régime Russe. Le continent européen n’a pas pour vocation d’être mis à feu et à sang par des mercenaires syriens ou tchétchènes payés par la Russie. Il ne peut pas non plus être prisonnier du nihilisme d’un dictateur richissime enfermé dans la solitude de son Palais et la décrépitude d’un pays géré par des cleptomanes milliardaires vivant en Suisse …
Au regard de l’agression commise et des exactions perpétrées par l’armée russe (et ses supplétifs) sur la population civile, la feuille de route diplomatique de l’Union européenne doit inclure d’ores et déjà quelle que soit la tournure des évènements :
- l’activation, conformément à la Charte des Nations-Unies, du Tribunal Spécial afin de juger Vladimir Poutine, Président de la Fédération de Russie, pour le crime d’agression perpétré contre l’Ukraine.
- la mise en accusation du ministre de la Défense russe Sergeï Shoigu devant le Cour Pénale Internationale (CPI) pour crimes de guerre en Syrie et en Ukraine sur la base de l’article 8 de ses statuts même si la Russie s’est opportunément désengagée du traité établissant la CPI et n’a pas signé la Convention d’Oslo interdisant l’usage de bombes à sous-munitions.
- la protection de l’intégrité physique du Président Voldomyr Zelensky, de sa famille et des membres de son gouvernement.
- l’évacuation intégrale et le retrait, sous le contrôle de l’Union européenne, de toutes les troupes russes (et de ses forces supplétives ) des territoires de l’Ukraine, de la Moldavie et de la Géorgie.
- la participation financière de la Fédération de Russie à la reconstruction de l’Ukraine comme contrepartie à la levée des sanctions de l’Union européenne.
- la démilitarisation de l’enclave de Kaliningrad et de la Biélorussie comme pendant de la non-adhésion de l’Ukraine à l’OTAN.
Aujourd’hui, le temps n’est plus aux concessions, ni aux compromissions car la contamination de la guerre menée par la Russie en Ukraine aux Balkans (avec le soutien accordé en sous-main par Moscou - et Belgrade - à la désintégration de la Bosnie-Herzégovine mais aussi à la fragilisation du Monténégro) constitue une menace réelle à la périphérie de l’Union. En cas de guérilla urbaine plus longue que prévue en Ukraine, la tentation pour la Russie peut être grande de déstabiliser les Balkans pour y semer là aussi le chaos.
Face à l’agression russe, la décision historique de l’Union européenne de financer et d’envoyer des armes à l’Ukraine à hauteur de plusieurs centaines de millions était la seule position possible, cette position de fermeté est à tenir car le renoncement et l’aveuglement ne sont plus de mise face à un Etat à la dérive. Cette décision doit être complétée a minima par un embargo sur le pétrole et le gaz russe pour assécher financièrement l’effort de guerre de la Russie.
Le refus par le Président Barack Obama d’intervenir en Syrie suite à la guerre chimique menée par Bachar-el-Assad contre son peuple a envoyé un très mauvais signal qu’il convient d’effacer. La démocratie d’émotion c’est bien, la défense de la démocratie c’est mieux…
Le durcissement des sanctions (commerciales, financières, bancaires) sont nécessaires mais elles ne seront pas suffisantes pour faire reculer la Russie, elles ne sont pas la panacée mais elles s’imposent pour contrer le comportement toxique d’un régime à la tête d’un pays-continent tout en respectant le caractère défensif de l’Alliance.
La Russie dont le principal partenaire commercial est la Chine est un pays à l’économie d’Etat dégradée (le Produit Intérieur Brut de la Fédération de Russie équivaut à moins de 10 % de celui des États-Unis d’Amérique) à la société inégalitaire (quasiment 50 % de la richesse produite en Russie est détenue par 1% de la population la plus riche) et éclatée entre une jeunesse éduquée au mode de vie occidental et des générations plus âgées sclérosées dans un passé idéalisé. Enfin, la Russie est un pays de 145 millions d’habitants à la démographie déclinante et au territoire grignoté dans sa partie asiatique par la Chine même si cette dernière est officiellement attachée au principe de souveraineté et d’intégrité territoriale.
Le peuple russe a le droit de vivre en paix dans une démocratie libérale
Vladimir Poutine, ancien officier du KGB, craint plus que tout la démocratie libérale. Le sujet de fond pour lui n’est pas une chimérique extension de l’OTAN à l’Ukraine mais l’existence de démocraties aux frontières de la Russie, existence que Vladimir Poutine juge menaçante pour la survie du régime russe.
Aujourd’hui, l’architecture de sécurité collective la plus optimale pour le continent européen réside dans la coexistence de démocraties libérales unies par le droit dans le cadre de l’Union européenne et en dehors. Soyons clairs, le peuple ukrainien n’a pas vocation à être géré depuis Moscou et le peuple russe n’a pas vocation à vivre éternellement sous dictature…
Amorcée avec la crise du coronavirus, le conflit en Ukraine signe le point de départ d’une confrontation mondiale pour la domination idéologique, économique, technologique et culturelle du Monde sur la base de nouveaux équilibres.
Si la Chine et la Russie coopèrent au sein de l’Organisation de Coopération de Shanghai, cette coopération ne trompe personne, elle est à la fois trop déséquilibrée (en faveur de la Chine) et trop fragile pour être réellement stratégique même si l’existence officielle d’un « partenariat stratégique » est là pour prouver le contraire. La Russie et la Chine ont uniquement en commun une méfiance réciproque.
La Chine se méfie culturellement de la Russie, pays au passé jugé désastreux (en raison de l’effondrement de l’URSS) et peu mondialisée économiquement, dont l’élite intellectuelle basée à Saint Pétersbourg respire trop peu l’Asie au regard de Pékin. Pour sa part, la Russie se méfie des ingérences continues de la Chine en Asie du Sud-Est et de ses velléités impérialistes dans une zone géographique sur laquelle elle entend peser. En réalité, la Chine instrumentalise la Russie dans son combat contre l’Occident et l’Union européenne en soutenant ses positions (Syrie, Iran, Ukraine…) tout en restant distante. La Chine parviendra plus rapidement que prévu, grâce au concours actif de Vladimir Poutine, à asphyxier l’économie russe pour la rendre captive.
Le soutien de la République Populaire de Chine à la politique d’autonomie stratégique souhaitée par la France au sein de l’Union européenne procède de la même logique, une logique de neutralisation conforme à ses intérêts en encourageant le découplage entre l’Union européenne et les Etats-Unis d’Amérique. La neutralité de l’Union européenne lui est totalement indifférente si elle ne rime pas in fine avec une impuissance politique couplée à une dépendance technologique .
En conclusion, la guerre menée en Ukraine va renforcer les Etats-Unis d’Amérique qui seront impactés de manière marginale sur le plan économique et la Chine dont l’étau sur la Russie se resserre lentement mais sûrement. Par ailleurs, elle va affaiblir la Russie sur le plan diplomatique, politique et économique mais aussi dramatiquement l’Ukraine dont les infrastructures (aéroports, hôpitaux, universités, …) risquent d’être entièrement détruites malgré la résistance exemplaire d’un peuple solidaire dans le combat .
Enfin, elle offre l’opportunité à l’Union européenne de prendre en main son destin et le destin du continent européen. Cela exige de sa part volonté, lucidité et unité mais aussi et surtout un nouveau regard sur le Monde avec une nouvelle doctrine destinée à assurer son indépendance dans le cadre d’une alliance rééquilibrée avec les Etats-Unis d’Amérique.
Jusqu'au 24 février 2022, les partisans du régime russe au sein de l’Union européenne nous vendaient une logique de soumission à la dictature russe sur la base d’une rupture avec les Etats-Unis d’Amérique. Depuis le 24 février, avec l’invasion de l’Ukraine, la problématique s’est radicalement inversée. Il appartient désormais à l’Union européenne de stabiliser le continent européen seule sur la base de ses idéaux et de sa doctrine diplomatique dans une logique de libération, y compris du peuple Russe, sans s’aliéner le soutien des Etats-Unis d’Amérique et la neutralité de la Chine.
Même si demain, le gouvernement Ukrainien est contraint à exil voire réduit au silence, l’insurrection ukrainienne l’emportera sur l’armée russe car, dans un contexte de guérilla, il est impossible de vaincre la bravoure d’un peuple agressé, meurtri par l’injustice et épris de liberté.
Vladimir Poutine, nostalgique d’un Monde soviétique à jamais disparu, souhaitait manifestement construire un mur infranchissable entre l’Ukraine et l’Union européenne, il a réussi en quelques jours à construire un solide pont pour le renouveau inespéré d’une Union élargie. Nous avons désormais l’obligation morale d’être à la hauteur du courage du peuple ukrainien, puissent les décideurs européens en avoir pleinement conscience plus de trente jours…
Xavier Grosclaude est Président de Fenêtre sur l’Europe
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