par Bruno Vever, le vendredi 28 septembre 2007

Le "marché commun" fut dès l'origine au cœur du projet européen. Un demi siècle après, cet objectif reste devant nous, aussi pertinent qu'inachevé.


Certes, le contexte a changé. Le marché de référence est devenu mondial. Et si certains plaident pour une Europe plus protectrice, le marché unique ne saurait être un bouclier nous isolant de la globalisation. Premier partenaire commercial au monde, l'Europe ne préservera qu'à cette échelle ses approvisionnements et ses débouchés, donc sa croissance et ses emplois. Par contre son marché unique doit être un levier plus efficace. Or son bilan reste en demi-teinte. Comme Janus, il a deux visages : la face encourageante de ses progrès et la face assombrie de ses échecs.

Nos progrès doivent nous inciter à poursuivre plus fort. Les quatre libertés (personnes, produits, services, capitaux) ont permis de lever nos frontières internes. Mais trop d'entraves insidieuses subsistent, notamment dans les services (deux tiers du PIB). La nouvelle directive rescapée des controverses du projet Bolkestein fera t-elle plus que les égratigner ?

L'élargissement continental a réuni 500 millions d'Européens dans le premier marché du monde en termes de PIB. Mais les disparités se sont accrues et la mise en synergie demandera du temps, surtout avec un budget commun modeste (1% du PIB) et peu orienté en faveur des coopérations transfrontalières (1% de ce budget), alors même que les régions frontalières sont en première ligne face aux opportunités mais aussi aux tensions du marché unique (cf. différentiels fiscaux, sociaux, délocalisations, etc.).

Autre grand succès du marché unique, l'euro facilite et sécurise les échanges. Outre son élargissement au-delà des 13, il reste à faire de l'Eurogroupe un partenaire mieux organisé face à la Banque centrale.

On ne complétera pas les progrès du marché unique sans s'attaquer avec détermination à ses échecs, à commencer par les lacunes persistantes d'outils indispensables aux entreprises. Citons l'absence d'un statut européen ouvert aux PME, comme d'un statut européen d'association. Citons l'incapacité du Conseil à adopter le brevet communautaire, sapant la crédibilité de sa stratégie de Lisbonne. Citons la renonciation à un régime définitif de TVA, coûteuse en fraudes et bureaucratie. Citons la persistance de doubles impositions. Citons l'absence d'un régime européen d'assurance crédit export, quand nous parlons d'une seule voix à l'OMC.

Rattraper nos retards supposerait de mieux distinguer l'« achèvement » du marché unique, avec des échéances qui devront être tenues, vis-à-vis de son aménagement qui demeurera permanent. Les lacunes citées précédemment relèvent de la première catégorie et justifieraient un ultime programme d'action. Il faudra y inclure une relance de l'ouverture de marchés publics (16% du PIB) cloisonnés à plus de 90%. Les directives ont été inefficaces car il leur a manqué l'essentiel : l'intérêt de l'acheteur public à jouer européen. On s'interrogera aussi sur l'absence de services publics à l'échelle européenne alors que l'intégration des marchés les justifierait désormais pour les douanes, la lutte contre les concurrences déloyales, la sécurité économique et financière, la propriété intellectuelle, la santé alimentaire ou l'environnement. Ceci faciliterait le développement de partenariats public/privé pour réaliser les réseaux trans-européens d'infrastructures et d'énergie indispensables à notre compétitivité.

On ne relancera pas le marché unique sans les Européens. Les acteurs socioprofessionnels doivent être impliqués dans la nécessaire simplification de la réglementation, et associés à des analyses d'impact systématiques. Il faut développer l'autorégulation et la corégulation dans de nombreux domaines : entraves techniques, qualifications professionnelles, conditions sociales, prestation de services, commerce, consommateurs, énergie, environnement.

Le marché unique est bridé à mi-régime, à notre détriment. Donnons lui les moyens de mieux respirer : nous en tirerons ce nouveau souffle dont nous avons besoin pour réussir dans la globalisation.


Bruno Vever est consultant et secrétaire général d'Europe et Entreprises
http://www.europe-entreprises.com

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