par Michel Theys, le samedi 07 juillet 2007

L'Europe des Vingt-sept est-elle sortie de l'impasse constitutionnelle ? Une semaine après le Conseil européen ayant pavé la voie à un traité qui, sur le plan de la simplicité, ne sera rien d'autre qu'un éloge du vice à la vertu constitutionnelle, certains font mine de le croire. Qu'ils le sachent, ils ne sont pas à l'abri d'une nouvelle mésaventure de taille. Là où les Français et les Néerlandais avaient dit "non" hier, d'autres pourraient fort bien les imiter demain. Il importe donc d'échapper sans tarder au piège d'une Europe référendaire morcelée qui conduit tout droit à un enfer pavé, comme l'autre, de bonnes – et beaucoup moins bonnes ! – intentions…


Le bilan européen – fatalement en demi-teintes – de Tony Blair n'est pas encore dressé que, déjà, son successeur, l'énigmatique pour ne pas dire bourru Gordon Brown, est mis sous pression. Par une nouvelle menace terroriste d'abord, laquelle doit lui valoir impérativement le soutien et l'appui sans réserve de tous ses partenaires européens. Mais là n'est peut-être pas l'offensive qu'il redoute le plus.

Avant même son installation au 10 Downing Street, M. Brown savait qu'il aurait à faire face, au lendemain des adieux européens de Tony Blair à Bruxelles, à une offensive en règle de tout ce que le Royaume-Uni compte comme eurosceptiques. Et ils sont aussi nombreux que redoutables, disposant d'une infernale machine de guerre sous la forme de tabloïds plus populistes que populaires qui – merci M. Murdoch ! – désinforment avec allégresse sur l'Europe honnie depuis des années. Or, c'est bien connu, médisez, médisez, il en restera toujours quelque chose…

Que veulent désormais les eurosceptiques britanniques ? Leur requête est d'une désarmante simplicité. En dépit des reculades et dérogations qui sont le dernier fait d'armes européen de Tony Blair, la substance de la Constitution européenne a été largement préservée, hormis sous l'angle cosmétique. Dès lors, arguent-ils, la souveraineté britannique reste en jeu et, partant, les citoyens doivent être dûment consultés par référendum. Si leurs vœux devaient être rencontrés, le pire, cela va de soi, est à craindre.

Pour de bonnes raisons constitutionnelles – en Irlande, par exemple – ou de moins bonnes raisons, d'autres pays devraient aussi opter pour la voie référendaire : République tchèque, Danemark, Pologne… et la liste n'est pas fermée pour qui suit la vie politique aux Pays-Bas ou… même en France où le camp du "non" y voit matière à se ressourcer au lendemain des élections présidentielles et législatives.

Ce foisonnement de référendums européens sur une base strictement nationale pose désormais un problème majeur. C'est d'autant plus vrai que, comme tout fait farine au moulin, tout sujet européen pourra être soumis, demain, à la meule de certains peuples d'Europe. Un immense merci, sous cet angle, au président Chirac pour avoir promis à "ses" concitoyens que plus aucun élargissement n'interviendrait sans leur aval ! Dans l'affaire, tant pis si les autres citoyens d'Europe comptent pour du beurre…

C'est un problème majeur, vital même pour l'Union européenne, parce que, de la sorte, là où certains se battaient depuis des décennies pour que le verrou ankylosant du droit de veto soit levé (certains progrès, mais trop limités, ont été engrangés sur ce plan lors du dernier Conseil européen), des apprentis sorciers introduisent, sous le couvert factice de la démocratie, une sorte de droit de veto populaire, pour ne pas dire populiste. Avec le referendum sur la Constitution, la France a été, en la matière, un laboratoire fort instructif, les mécontents de tout bord – du président de la République, du gouvernement, d'une Europe trop peu sociale, trop ceci ou trop peu cela – ayant serré leurs bataillons au demeurant fort disparates pour abreuver les sillons d'Europe d'un sang anémié.

Cette évolution référendaire dispersée constitue un problème majeur : si tant est qu'il s'agit vraiment de bâtir l'Union, comme il l'est affirmé, sur le socle des Etats et des citoyens qui la composent, est-il normal, est-il encore admissible que les citoyens d'un Etat puissent prendre en otages le devenir de l'œuvre commune et imposer souverainement leur volonté ? Est-il démocratique que l'avenir de l'Europe soit confisqué par des citoyens plus égaux que d'autres ?

Poser ces questions, c'est y répondre. Et c'est se rendre à l'évidence : la seule manière de sortir de l'actuelle souricière référendaire consistera à mener bataille pour que, à l'avenir, tous les citoyens de l'Union soient consultés sur le devenir de l'œuvre commune.

Reprenons l'exemple de la Constitution. Les Français ont dit "non" et les Espagnols ont dit "oui". Or, dans le contexte européen actuel, le "non" l'emporte sur le "oui. Sous le seul angle d'une démocratie bien comprise, pourquoi en est-il ainsi ? Quels sont les éléments, autres que de nature nationaliste, qui justifient ce deux poids deux mesures ? Au nom d'une vraie démocratie émergeant au niveau de l'Union, n'eut-il pas beaucoup mieux valu que les citoyens de tous les Etats membres soient consultés le même jour – ou, du moins, comme dans le cas des élections européennes, dans la même fourchette de jours ? N'aurait-il pas mieux valu que le décompte des "oui" et des "non" soit opéré, par exemple, sur la base de la double majorité : 55% des Etats, 65% des citoyens ? Et au nom d'une démocratie européenne digne de porter ce nom, n'eut-il pas mieux valu que les parlements nationaux et européen ratifient le choix citoyen majoritaire, quel qu'il soit ? Cet alliage entre démocratie directe et démocratie représentative ne donnerait-il pas une double légitimité bienvenue à la construction européenne ?

Une fois encore, poser ces questions, c'est y répondre – hormis, sans nul doute, pour les souverainistes de tout crin. En réalité, dans l'Union cruellement écartelée sur ses fins ultimes qui prévaut aujourd'hui, un seul référendum national de nature européenne devrait être autorisé encore : celui qui poserait la question "Voulez-vous que votre pays reste dans l'Union européenne ?". Ce serait alors apporter la preuve ultime et éclatante que les citoyens ont vraiment, fondamentalement, leur mot à dire. Et permettre à ceux qui souhaitent aller de l'avant de n'avoir plus à traîner l'un ou l'autre boulet aux pieds.


Michel Theys est journaliste spécialisé dans les questions européennes. Sa société, EuroMedia Services, est active dans les domaines de la presse écrite et audiovisuelle.

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