par Michel Theys, le jeudi 12 avril 2007

La "Déclaration de Berlin" adoptée pour marquer le cinquantième anniversaire des Traités de Rome a-t-elle assis l'Union européenne "sur des bases communes rénovées" ? Par sentimentalisme ou sous le coup d'une émotion historique compréhensible, certains ont fait mine de le croire ou, du moins, de vouloir y croire. Erreur. En réalité, ainsi que l'a écrit un commentateur polonais lucide, cette Déclaration n'a été qu'un "sursaut d'auto-estime" pour le chemin parcouru. La crise reste entière. Toutefois, comme c'est dans l'adversité que l'on reconnaît ses amis, tout espoir n'est pas perdu. Moins que jamais, peut-être même…


Les "non" français et néerlandais à la Constitution ont provoqué un électrochoc qui n'a de précédent que le refus opposé, en 1954, par l'Assemblée nationale à la Communauté européenne de défense. C'est de ce "refus devant l'obstacle" qu'ont découlé, trois ans plus tard, les Traités de Rome. Et si l'histoire se répétait, en mieux ?

Dans les cénacles qui gouvernent l'Europe, le gros rouge qui tache est aussi peu prisé que les propos qui fâchent. Comme l'aurait dit le grand Brel, "chez ces gens-là, Monsieur, on cache les problèmes de famille" pour qu'elle paraisse toujours unie. Quitte à mentir par omission, en s'accommodant tant bien que mal des humeurs du ou des partenaires.

Cette omerta déboussolante pour le citoyen a-t-elle fait son temps ? Il est certains indices qui incitent à le penser – mieux, à l'espérer. Pour la première fois depuis trop longtemps, des voix s'élèvent dans les salons feutrés où l'Europe se fait et se pense pour reconnaître que la famille européenne est divisée. Pour enfin admettre ouvertement qu'elle se déchire jusqu'au sang sur la manière d'envisager l'avenir commun. Et pour cesser de se voiler plus longtemps la face en ne niant plus qu'une clarification s'impose, aussi douloureuse puisse-t-elle être…

De multiples petites phrases témoignent du ras le bol qui enfle et de la prise de conscience que le divorce, après tout, peut s'imposer même dans les bonne familles. "Les Britanniques ont atteint leur objectif : à la fois être dans le système européen et empêcher tout progrès de l'intégration", lâche ainsi le policé Valéry Giscard d'Estaing au détour d'une interview. Jamais il n'avait été dit par une personnalité politique de cet acabit que les Britanniques sont entrés dans un club de buveurs de whisky avec la ferme intention de le transformer en salon de thé. Et que leur redoutable efficacité – le Quai d'Orsay a, sur le plan européen en tout cas, bien des leçons à prendre du Foreign Office – leur permet d'être arrivés, pour l'essentiel, à leurs fins. Au point, aujourd'hui, que "leur" Europe, le grand marché fondé sur la concurrence et baignant dans la mondialisation, donne la nausée à certains, le "non" français pouvant en partie être compris sous cet angle.

Cette Europe mercantile réduite aux acquis – et encore, la Grande-Bretagne n'est ni dans l'euro, ni dans Schengen – a été très longtemps tolérée, subie, avalée comme une couleuvre afin de sauvegarder les apparences d'une famille européenne unie. Aujourd'hui, des pans de la façade s'effondrent et la révolte gronde. Dans la bouche d'un Nicolas Sarkozy, par exemple, lorsqu'il déclare le 21 février à Strasbourg : "Je veux l'Europe (…) parce que la France ne pourra rien sans l'Europe. (…) Mais je ne veux pas d'une Europe au rabais, sans ambition, qui se contenterait d'empêcher les Etats membres d'agir sans s'en donner elle-même les moyens".

Propos de circonstances d'un candidat en campagne ? Conseillé sur le plan européen par les sages éclairés que sont Michel Barnier ou Alain Lamassoure, il serait sot de ravaler cette profession de foi de Sarkozy au rang de dérapage médiatique plus ou moins contrôlé. Mieux vaut la rapprocher de ce qu'a dit, avec bien davantage de précision encore, François Bayrou à Bruxelles le 8 mars dernier : "Sans doute faudra-t-il que quelques-uns avancent en pionniers. Le socle de cette Europe politique, ce sont les pays de l'euro. Sur cette base relativement large, ouverte à ceux qui en acceptent les principes et les obligations, se constituera le premier cercle européen selon des procédures démocratiques et non pas intergouvernementales. Ce ne sera pas une Europe à la carte (…), mais une articulation entre une Europe large – l'Europe des échanges, des régulations juridiques et de la démocratie – et d'une Europe plus dense, constituée au sein de la première par ceux qui ont plus d'exigences et plus d'ambitions".

L'heure de la rébellion, du sursaut, semble donc avoir sonné. Jacques Delors juge "élémentaire" que les chefs d'Etat et de gouvernement des Vingt-sept "parlent entre eux de ce qui les divise". Tout indique qu'il sera entendu. Lors du sommet des 21 et 22 juin prochains ? Peut-être pas : en sa qualité de présidente en exercice du Conseil européen, la chancelière allemande Angela Merkel cherchera sans doute plutôt à privilégier le consensus afin de paver la voie vers une sortie de crise ou, plutôt de l'ornière. C'est au cours des négociations qui suivront que les Etats – et les citoyens ! – fatigués d'avoir à composer avec les Européens les plus timorés auront l'occasion de faire souffler le vent de la fronde clarificatrice. Plus de 250 ans après la bataille de Fontenoy, ce dont l'Europe a besoin, c'est d'un "Messieurs les Anglais, sortez les premiers" et "qui vous aime vous suive" !



Michel Theys est journaliste spécialisé dans les questions européennes. Sa société, EuroMedia Services, est active dans les domaines de la presse écrite et audiovisuelle.

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