par Baudoin Bollaert, le jeudi 18 janvier 2007

Tous les six mois, l'Union est enlacée par un nouveau cavalier pour quelques tours de valse sur les parquets de danse bruxellois : hier la Finlande, demain le Portugal et la Slovénie, aujourd'hui l'Allemagne…Oui, mais voilà : avant qu'Angela Merkel ne détaille son programme devant les eurodéputés, le 17 janvier à Strasbourg, près de 80% d'Allemands ignoraient que leur pays exerçait la présidence effective de l'Union européenne depuis le début de l'année.


Ce pourcentage bien faible pour un pays qui se targue, avec la France, d'être le "moteur" de l'Europe, semble condamner la formule actuelle des présidences tournantes. Est-ce pourtant si sûr ? Le projet de Traité constitutionnel proposait de camoufler les défauts du système avec la nomination d'un président stable de l'Union pour deux ans et demi renouvelables… Soit. Mais c'est faire bon marché de la principale vertu des présidences semestrielles : celle de réveiller l'opinion et les élites du pays qui prend l'Union dans ses bras.

La fierté n'est pas un vain mot et chaque Etat membre, quand vient son tour, entend éviter les faux pas et "réussir sa présidence" pour, si possible, laisser une petite trace dans l'histoire. Les affaires européennes ne se résument évidemment pas à un carnet de bal… Il n'empêche : rares sont ceux qui traitent l'exercice par-dessus la jambe.

Donc, l'Allemagne va s'y coller. Et l'on peut compter sur Angela Merkel, digne héritière d'Helmut Kohl, pour essayer de sortir ses compatriotes de leur torpeur et redonner un peu de tonus au débat européen. D'autant que dans une Europe à vingt-sept Etats membres, la prochaine présidence allemande ne reviendra pas avant 2020 !

On connaît la devise de la chancelière : "Unie, l'Europe peut réussir". On connaît aussi les grandes dates cochées sur l'agenda de sa présidence : un " sommet de printemps", les 8 et 9 mars 2007, pour adopter, entre autres, un " Plan d'action pour l'énergie" ; la célébration du 50ème anniversaire du Traité de Rome qui permettra les 24 et 25 mars aux Vingt-sept de redéfinir les objectifs et les valeurs de l‘Union dans ce qu'on appelle déjà la "éclaration de Berlin"; enfin, le Conseil européen des 21 et 22 juin à la faveur duquel la présidence allemande présentera un document sur la crise constitutionnelle et proposera des solutions pour avancer.

Jusque-là, rien d'inattendu. Mais les surprises pourraient venir d'ailleurs. A l'initiative de l'Espagne et du Luxembourg, les deux seuls pays à avoir répondu « oui » par référendum au Traité constitutionnel, les dix-huit Etats membres qui ont ratifié ce texte (en comptant la Bulgarie et la Roumanie) ont décidé de se réunir à Madrid le 26 janvier pour "aider la présidence allemande" à sauver tout ou partie du projet élaboré par Valéry Giscard d'Estaing et les conventionnels.

"Nous pensons que ceux qui ont ratifié le Traité ont le droit de s'exprimer haut et fort," a expliqué Jean-Claude Juncker, le Premier ministre du Grand Duché. "Tout le public européen est sous l'influence de ceux qui ont dit non. Nous devons redonner leur dignité aux arguments de ceux qui ont dit oui."

Angela Merkel est sur la même ligne. Devant le Parlement européen, elle a répété que les Européens rateraient le "tournant de l'Histoire" s'ils ne parvenaient pas à sauver la substance du Traité constitutionnel, au moins avant les élections européennes de 2009… Une date qui, on le verra, n'est pas innocente.

La France, aujourd'hui, est en pleine campagne présidentielle. Ni Ségolène Royal, ni Nicolas Sarkozy -pourtant tous deux partisans du « oui »- ne voudront réveiller les fantômes ou les fantasmes du 29 mai 2005… En Grande-Bretagne, où le très eurosceptique Gordon Brown s'apprête à succéder à Tony Blair, la mondialisation a relégué la construction européenne au rayon des vieilleries et les affaires institutionnelles font ricaner… Quant à la Pologne, qui se méfie de tout le monde à commencer par elle-même, qui sait ce qu'elle veut vraiment ?

L'unanimité sera donc difficile à trouver pour sauver ce qui peut l'être du Traité constitutionnel. Pourtant, si les déclarations officielles ont un sens, une petite lueur d'espoir est venue du dernier Conseil européen. Les vingt-sept chefs d'Etat et de gouvernement ont décidé à Bruxelles de mettre un frein à l'élargissement en entérinant, en particulier, le gel partiel des négociations d'adhésion avec la Turquie. En ce sens, ils ont voulu redonner la priorité à l'approfondissement. Donc à la réforme des institutions.

On dira, certes, que l'Union n'est pas si malade qu'on veut bien le laisser croire. Le marché intérieur et les politiques communes sont les deux béquilles qui lui permettent encore d'avancer. Elle n'est pas avare de projets qui se concrétisent : ambitieux comme Galileo, futur concurrent du GPS américain ; ou pratiques comme le permis de conduire européen… Mais, sur des dossiers aussi importants que l'énergie, l'immigration ou la fiscalité, elle ne peut se permettre d'avoir indéfiniment vingt-sept politiques différentes.

Le risque d'enlisement est patent. D'où la nécessité de relancer le processus d'intégration par un système décisionnel performant. Un système qui suppose davantage de votes à la majorité qualifiée et un contrôle parlementaire accru. Le projet constitutionnel engageait l'Union dans cette voie. Pourquoi les Français, qui ne l'ont pas compris en 2005, ne changeraient-ils pas d'avis un jour ? Avant eux, les peuples danois et irlandais -pas moins respectables- s'étaient ravisés après avoir répondu « non » à d'autres Traités…

Fine mouche, Angela Merkel répète qu'il faut trouver une solution avant les élections européennes de 2009. Une façon de rappeler à la France qu'elle peut reconstruire ce qu'elle a défait puisqu'elle assumera la présidence de l'Union au dernier semestre 2008… Mais attention ! S'il faut être deux pour danser le tango, la valse se danse à vingt-sept sur les parquets glissants de l'Union européenne. Et personne ne doit faire tapisserie…


Baudouin Bollaert, ancien rédacteur-en-chef au Figaro, enseigne à Sciences-Po et à l'Isad. Il a publié fin novembre aux éditions du Rocher une biographie d'Angela Merkel. 

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