par Timothée Decroix, le vendredi 04 avril 2008

Les 27 et 28 mars se tenait à Paris un colloque organisé par Confrontations Europe, en association avec Les Entretiens européens, et le C.E.R.E.S. Intitulé "La renaissance de l'énergie nucléaire : un défi pour l'Europe" , la manifestation a soulevé les enjeux du renouveau du nucléaire dans la construction du monde de demain. L'Europe doit surmonter ses contradictions pour pouvoir jouer un rôle leader dans le nucléaire, le meilleur instrument de lutte contre le réchauffement climatique.


La question énergétique est aujourd'hui une question centrale, pour l'Europe et pour le monde. La puissance de la demande énergétique, l'explosion des cours du pétrole, la raréfaction de certaines matières premières, la dépendance de l'Europe et les questions du changement climatique posent la question de l'avenir énergétique européen.

Un élément de solution semble être le nucléaire : il produit de l'électricité à relativement faible coût, sans émission de CO2. De plus, la part du coût de l'uranium dans le coût total est faible (10%), ce qui limite la dépendance européenne vis à vis de l'extérieur et protège le consommateur de la volatilité des prix sur le marché de l'énergie. Enfin, les sources d'approvisionnement (Canada ou Australie notamment) sont stables.

L'énergie nucléaire peut donc être un élément de réponse aux enjeux énergétiques d'aujourd'hui. Pourtant, ce sujet reste tabou en Europe. Face à la division des Etats sur ce sujet, le Conseil préfère ne pas aborder le sujet, le nucléaire restant un choix national. La Commission commence bien pour sa part à aborder le sujet, mais trop timidement.

Philippe Herzog, président de Confrontations Europe a souligné la nécessité d'un nouveau traité spécifique sur l'énergie, qui redonnerait une cohérence à l'agenda et à la politique énergétique européenne.

Confrontations Europe, en partenariat avec le C.E.R.E.S. et les Entretiens européens, a donc choisi de lancer le débat sur la renaissance du nucléaire lors d'un colloque organisé à Paris les 27 et 28 mars 2008. Etaient réunis industriels et décideurs européens, venant de "l'Europe de l'Atlantique à l'Oural" : Allemagne, Bulgarie, France, Grande-Bretagne, Italie, Pologne, République Tchèque, Slovénie,… mais également Russie.

Quatre thèmes ont structuré cette rencontre : les conditions de la relance du nucléaire en Europe, les limites du nucléaire et les réponses à y apporter, la question du mix énergétique européen, et la nécessité d'une politique énergétique extérieure commune.


Les conditions de la relance du nucléaire en Europe


Anne Lauvergeon, présidente d'Areva, a parlé de la renaissance du nucléaire comme d'une "troisième révolution énergétique mondiale". Le nucléaire est le moyen d'assurer notre croissance tout en tenant compte des enjeux environnementaux. La présidente d'Areva a souligné son inquiétude face à l'immobilisme européen sur cette question du nucléaire. L'Europe risque d'y perdre sa compétitivité.

En effet, dans la constitution d'une nouvelle économie européenne, faible en CO2, le nucléaire a toute sa place. Beaucoup de pays l'ont compris. Ainsi, la Grande-Bretagne a décidé de renouveler son parc nucléaire et d'augmenter la part de cette énergie dans son mix énergétique. Il existe également des projets en Slovénie, Roumanie, Bulgarie, Finlande, Tchéquie,…

Les intervenants ont insisté sur la rentabilité de l'énergie nucléaire dont le coût initial est élevé, mais qui est l'une des énergies les plus rentables à long terme, notamment si l'on intègre les coûts du CO2. Le nucléaire n'a donc pas besoin d'aides publiques, ni même de garanties publiques. Il lui faut seulement que l'Etat donne un cadre et des règles assurant une stabilité et une visibilité à long terme nécessaires aux investissements.

Le besoin de contrats à long terme a été souligné. Ceux-ci doivent permettre aux gros consommateurs de bénéficier de prix bas. Une impulsion politique est nécessaire pour faire mieux accepter ce mécanisme des contrats à long terme par Bruxelles.


Les limites du nucléaire


Dominique Ristori,Directeur général adjoint pour l'énergie et les transports à la Commission européenne, reconnaît qu'il existe des "points à améliorer" pour le nucléaire. Tout d'abord, il faut parvenir à convaincre les opinions publiques du bien fondé du nucléaire. En effet, celles-ci sont encore largement réticentes et inquiètes face au nucléaire. Il faut combler ce manque d'information. Pour cela, la Commission européenne a proposé un forum européen sur le nucléaire, dont la première édition s'est tenue à Bratislava.

Le second point à améliorer est celui de la sureté et des déchets. Pour cela il est nécessaire de construire des standards et des normes de sécurités communs exigeants. Il faut également assurer la transparence en cas d'accident. Concernant les déchets, des solutions sont possibles, comme l'enfouissement en couche profonde. Il faut également développer la recherche sur ce sujet.

Les besoins de formation sur le nucléaire se font également cruellement sentir. Pour y répondre, Walter Hohlefelder, président du Forum nucléaire allemand, a proposé la fondation d'une académie européenne, qui répondrait notamment à la demande sur le marché du travail d'ingénieurs spécialisés dans le nucléaire.

Enfin, il faut assurer que la renaissance du nucléaire comme énergie alternative n'entraînera pas une prolifération des armes atomiques. Pour cela, les traités de non-prolifération doivent être recrédibilisés. L'UE doit être à l'avant-garde et prendre des positions claires face à ceux qui n'ont pas signé ou ne respectent pas ces traités. Pour sa part, la Russie s'engage à respecter ses engagements de non-prolifération, a affirmé la délégation russe. Un projet de centre international d'enrichissement, situé en Russie, devrait permettre de fournir de l'uranium à tous les pays qui souhaitent développer l'énergie nucléaire, sans permettre pour autant aux clients de maîtriser le développement. Ceci permettrait à tous les pays de développer l'énergie nucléaire, sous contrôle de l'AIEA, sans risque de prolifération atomique.


Le mix energétique


Gérard Mestrallet, président de Suez, a affirmé le premier qu'il n'y aurait pas de solution sans nucléaire, mais qu'il fallait également diversifier les sources d'énergie, pour limiter la dépendance et les risques. Un mix énergétique européen, intégrant le nucléaire, est donc nécessaire. En effet, on ne peut connaître l'avenir, et multiplier ses sources d'énergie est un moyen de partager le risque.

Il ne faut pas opposer énergies renouvelables et nucléaire. Les deux se complètent, et sont la condition pour que l'Europe puisse rester leader dans la lutte contre le réchauffement climatique.


Une politique énergétique européenne commune ?


Il faut créer une politique énergétique extérieure commune en Europe, nous dit François-Michel Gonnot, président d'Andra.

Les relations avec la Russie seraient, dans ce cadre, un élément prioritaire. Une délégation russe, invitée à la manifestation, a d'abord rappelé l'importance qu'accorde son pays à l'énergie nucléaire. Ainsi, dix centrales devraient être construites d'ici 2015. Ce qui place la Russie en avance sur la plupart des régions du monde dans ses prévisions de développement de l'énergie nucléaire.

La Russie souhaite augmenter ses partenariats avec les grandes compagnies du monde entier pour œuvrer au développement du nucléaire. Mais le principal obstacle à une politique énergétique extérieure commune est la différence de positions des pays de l'UE sur la question du nucléaire, qui est traditionnellement un domaine purement national.

De plus, Malcolm Grimston, expert nucléaire de l'Observatoire Chatham House de Londres, met en garde contre une politique commune qui pourrait entrer en contradiction avec d'autres politiques communes. Il ne faut pas faire une politique commune à tout prix, mais uniquement si elle est nécessaire, et que son objet n'est pas déjà traité par une autre. De plus, une politique commune pourrait se retourner contre le nucléaire. En effet, les opposants au nucléaire demeurent nombreux, et plusieurs pays s'y opposent ouvertement. Claude Fisher, directeur des Entretiens européens, a souligné qu'elle aimerait voir cette question de politique énergétique entrer au Conseil le plus rapidement possible. Le débat sur ce point est en effet essentiel

Enfin, une politique extérieure nécessite un marché intérieur qui fonctionne parfaitement, rappelle Helmut Schmitt von Sydow, professeur à l'Université de Lausanne et ancier directeur de la direction "énergies conventionnells" à la Direction de l'énergie et des transports. Il faut également ajouter à cette difficulté la nécessité de résoudre la question de l'acceptabilité du nucléaire par les populations. Jean-Pierre Sotura, de la FNME-CGT propose de mettre en place une agence européenne de l'énergie, permettant de mettre au centre des préoccupations la Recherche et le développement et d'aboutir à la coopération entre Etats.

Une solution pourrait donc être de mettre en œuvre une politique de coopération renforcée pour ceux qui le souhaitent. Plusieurs participants au colloque ont proposé cette alternative.

Jean-Pierre Jouyet, Secrétaire d'Etat aux affaires européenns, qui concluait cette rencontre, a affirmé que l'énergie serait au centre des préoccupations de la Présidence française de l'Union européenne. Le paquet énergie-climat cherche à éviter l'opposition entre la lutte contre le réchauffement climatique et la compétitivité des entreprises, a-t-il rappelé. Il a également affirmé que si une entente sur les questions énergétiques et notamment nucléaires n'était pas possible, il faudrait sans doute envisager une coopération renforcée.

La question énergétique est essentielle si l'on veut faire de l'Europe un acteur global, a-t-il ajouté.


Timothée Decroix est chroniqueur à Fenêtre sur l'Europe et étudiant en Master 1 de sciences sociales, économiques et politiques à la Faculté de Sciences Sociales et Economiques de l'ICP.

http://www.icp.fr

http://www.confrontations.org


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