par Noëlle Lenoir, le mercredi 02 avril 2008

En mettant sur la table fin 2007, un “3è paquet” de directives et règlements pour libéraliser le marché de l'énergie, la Commission européenne se doutait qu'elle se heurterait aux opérateurs historiques et à leurs Etats. Cela n'a pas manqué.


La France et l'Allemagne où sont implantées les plus grandes entreprises telles qu'EDF, GDF ou encore E-ON voient dans la réforme le démantèlement de leurs champions mondiaux.

L'option privilégiée par la Commission est en effet de séparer la propriété des réseaux de transport ou transmission de gaz et d'électricité, constitutifs d'un monopole naturel, des activités de production et fourniture qui sont elles ouvertes à la concurrence. Selon elle, les entreprises verticalement intégrées depuis la production jusqu'à la fourniture en passant par le transport et la distribution ne favorisent pas l'investissement.Les marchés nationaux restent cloisonnés et les interconnexions - indispensables aux flux transfrontaliers d'énergie - ne sont pas financées.

Quel intérêt aurait un gestionnaire de réseaux dépendant de sa société mère productrice d'énergie d'investir au profit de nouveaux entrants sur le marché ? Chacun se souvient de la panne d'électricité de 2003 en Italie ou de celle qui en 2006 s'était propagée d'Allemagne sur le continent conduisant les pays à des délestages d'urgence. En dehors des pannes, il faut être conscient qu'en France, le parc nucléaire fonctionne à plein et que tout arrêt de maintenance, faute de capacités ou d'interconnexions suffisantes, entraîne en Europe de considérables pics de prix.

C'est pour faire cesser le “conflit fondamental d'intérêt” au sein d'un même opérateur que la Commission, faute de pouvoir physiquement démultiplier les réseaux, veut contraindre les entreprises concernées à céder leurs actifs en ce domaine. Parallèlement, les gestionnaires indépendants de réseaux seraient sous la surveillance des régulateurs nationaux qui s'assureraient de la réalisation des investissements utiles à l'optimisation de leurs capacités.
Pour qu'un marché énergétique fonctionne convenablement, il faut en effet des réserves de capacités pour faire face aux fluctuations de la demande.

Le découplage des activités de transport est déjà là, en matière d'électricité et même de gaz, dans plusieurs Etats membres - par exemple, Danemark, Espagne, Grande-Bretagne, Pays-Bas, Suède – qui soutiennent la Commission. Le géant E-ON lui-même, se dissociant de la position du gouvernement allemand, a annoncé en février qu'il se défaisait de son réseau électrique, pour échapper à des sanctions pour pratiques anti-trust. Pour la France, il s'agirait pour GDF et EDF de céder la majeure partie de leurs filiales GRTgaz et RTE (Réseau de Transport d'électricité.) Le problème posé dans les deux cas est différent, le réseau électrique pouvant plus aisément se séparer des activités du production que les réseaux de transport, stockages souterrains et terminaux méthaniers de l'entreprise gazière.

Ce débat majeur renvoie à la question du financement – public ou privé - des investissements. La France s'est construite comme grand pays énergétique, sur la base d'un consensus national, grâce au financement de nos réacteurs nucléaires par le contribuable. C'est une force. Aujourd'hui, l'état des finances publiques, en France et ailleurs, ne le permettrait pas. D'où l'idée d'encourager les investissements par la concurrence, expression même selon la Commission d'une politique industrielle moderne. Elle oblige les entreprises qui rivalisent à se renforcer, les incite à l'innovation et bénéficie aux consommateurs, avec une vision de long terme.

Il y a d'abord des réalisations dans l'énergie qui exigeront toujours un financement public (comme ITER, Projet scientifique de production énergétique par fusion). Quant aux réseaux, il leur faut des financements privés stables. Contrôlés par les régulateurs nationaux, sous l'égide demain d'un coordinateur européen, les investissements en cause sont programmés selon la législation communautaire sur une durée de dix ans. Les fonds de private equity risquent de rester moins longtemps, d'autant que la rentabilité des réseaux de transport - en France, le taux de rémunération fixé par la CRE (Commission française de régulation de l'énergie) est de 7,25% - est loin de celle attendue par ce type d'investisseurs. Peut-on imaginer qu'à l'occasion du découplage des activités de transport d'énergie, les régulateurs aient leur mot à dire sur les repreneurs de réseaux du point de vue de la durée de leurs engagements ? En toute hypothèse, la France s'honorerait, lors de sa présidence de l'Union, en proposant à l'échelle du continent une fédération des opérateurs et propriétaires de réseaux dont le poids financier et l'impact opérationnel contribuerait de manière décisive à la création d'un véritable marché unique de l'énergie.

Chronique parue dans le journal La Tribune le 26 mars 2008


Noëlle Lenoir, est ancienne ministre déléguées aux Affaires européennes. Elle est présidente de l'Institut d'Europe d'HEC et du Cercle des Européens 

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