par Noëlle Lenoir, le lundi 25 février 2008

"Un marché pour les citoyens", tel est le thème choisi pour la première édition du Symposium européen organisé par l'Institut de l'Europe d'HEC les 1 et 2 février dernier. Ce marché, vecteur de citoyenneté, ce fut et cela reste la grande idée des bâtisseurs de l'Europe ! Après le traumatisme des deux guerres mondiales, l'édifice européen a été érigé, dès le traité de Rome, sur le socle du marché. L'ouverture des frontières était le moyen de faciliter la vie des entreprises, mais aussi et avant tout de créer les “solidarités de fait” entre Etats, souhaitées par Robert Schuman. Celles-ci n'empêchent pas tensions et rivalités (actuellement par exemple entre l'Allemagne et la France à propos de la réduction des émissions de CO2 par les automobiles). Il reste que le marché commun a conduit les Européens à organiser leur espace en se fixant des règles communes qui servent d'ailleurs de références dans le monde.


La paix installée en Europe, de nouveaux défis sont apparus. L'Europe n'est plus menacée de l'intérieur, mais de l'extérieur. La guerre froide a fait place au terrorisme et au fondamentalisme exportés sur le continent. Depuis l'épisode des caricatures de Mahomet jusqu'au renvoi navrant des Pays-Bas de l'ancienne députée néerlandaise Ayaan Hirsi Ali devenue gênante pour avoir dénoncé l'intégrisme islamiste, en passant par l'assassinat dans ce même pays du cinéaste Théo Van Gogh, auteur avec elle d'un film pour la défense des femmes, nous savons maintenant que nos démocraties sont mises en péril par des idéologies tout aussi meurtrières que celles du siècle précédent. Quant à la croissance de l'Europe, elle marque le pas. Or les sondages le confirment, les citoyens douteront des bienfaits du grand marché, si la croissance est en panne, si leur niveau de vie et d'emploi diminue et si leur sécurité n'est pas assurée.

Et pourtant, l'Europe est la seule réponse possible à la globalisation, facteur de développement et de vulnérabilité. L'histoire l'a prouvé, l'autarcie entraîne un déclin économique. Comme en témoigne la création de l'euro, l'Europe s'est remarquablement adaptée au nouveau contexte. Le marché intérieur a permis à bien des entreprises de devenir des champions mondiaux et c'est sur sa base qu'a été adoptée toute une série de législations européennes en faveur des travailleurs et des consommateurs. Toutefois, les Européens ne profiteront véritablement des opportunités du marché que si l'on réforme en profondeur leur modèle socio-économique dont les coûts -énergétiques, sociaux et environnementaux- ne sont plus soutenables.


C'est à une réflexion sur la direction à prendre par l'Europe en ce début du 21è siècle que se sont livrés les trente “sages” -dirigeants politiques et économiques-, auxquels s'étaient joints des experts, réunis à l'occasion du “Symposium européen 2008” d'HEC. La conclusion est nette : l'Europe ne survivra comme “continent porteur de civilisation” (selon les termes du préambule de feu le traité constitutionnel) que si elle demeure une économie d'innovation. L'Union européenne envoie un signal positif en prenant le leadership mondial en matière d'environnement. Ce qui veut dire que les entreprises seront soumises à des exigences renforcées, mais qu'elles verront aussi s'ouvrir de nouveaux marchés pour les technologies, produits et services innovants développés par elles. Le pari n'est pas gagné : d'une part, la concurrence des pays émergents, non soumis aux contraintes environnementales et sociales imposées en Europe, s'est accrue. D'autre part, la recherche européenne se délocalise vers les Etats-Unis, et de plus en plus vers l'Asie. Pour enrayer le mouvement, les participants au Symposium ont insisté sur la formation, l'éducation, la mobilité, l'aide aux chercheurs (plus qu'aux projets de recherche) et sur un brevet communautaire simplifié au maximum. Ils ont par ailleurs affirmé l'importance du concept d'“employabilité” des individus -ressortissants communautaires et immigrés- qu'il faut constamment préparer au changement.

La paix, la démocratie, le progrès économique et social, les objectifs restent inchangés. En revanche, il n'est plus certain que le marché puisse seul générer un sentiment de “citoyenneté” liant entre eux les Européens. Un citoyen n'est pas un être passif, il lui faut pouvoir agir sur ses gouvernants. Or la lisibilité des institutions européennes demeure insuffisante, et les responsabilités politiques mal identifiées. Pour certains, l'Europe n'a pas besoin d'institutions politiques, alors que pour d'autres, elle ne peut qu'être fédérale. A force de naviguer entre ces deux rives, un jour ou l'autre le bateau européen finira par se perdre. Pour l'instant, il avance vers la ratification du traité réformateur, une étape majeure pour redonner de l'élan aux politiques européennes. Car, comme le relèvent les conclusions du symposium HEC, qui seront remises à la future Présidence française de l'Union, n'oublions pas que la puissance économique de l'Europe est la condition nécessaire de son rayonnement démocratique.

Chronique parue dans le journal La Tribune, le 14 février 2008


Noëlle Lenoir, ancienne Ministre, est présidente de l'Institut de l'Europe d'HEC et du Cercle des Européens. 

http://www.hec.fr/institut-europe/

http://www.ceuropeens.org

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