par Olivier Lacoste, le mercredi 23 décembre 2009

Les Entretiens Economiques Européens (EEE) organisés par Confrontations Europe les 10 et 11 décembre 2009 prennent appui sur un travail de longue haleine, menés dans trois domaines principaux : l'investissement humain, le financement du long terme, ainsi que le dossier "énergie-climat" (dossier qui a fait l'objet des EEE de juin dernier). Tout au long de l'année 2009, débats d'idées et échanges d'informations ont eu lieu au sein de plusieurs groupes, comme le "groupe crise" (autour de Philippe Herzog) ou le "groupe InduServices" (présidé par Claude Fischer), ainsi que les groupes "finance banque" ou " Europe dans la mondialisation". Ce processus dynamique de réflexion collective chemine donc : les EEE en constituent une étape.


Les matériaux accumulés ne sont pas négligeables. Quel bilan établir à la fois du colloque et du travail de long terme mené collectivement à l'initiative de Confrontations ? Les leçons à tirer différent selon les trois thèmes traités lors des EEE de décembre : la problématique générale de sortie de crise ; la gestion du social par l'anticipation des restructurations et la formation ; l'investissement de long terme et son financement.


Un aveuglement des politiques quant à la sortie de crise ?


Sur l'appréciation générale de la situation économique et sociale, il semble y avoir une divergence croissante entre les politiques et les experts. Les premiers agissent implicitement comme si la crise était en voie de résorption quasi-automatique : après avoir soutenu l'activité par des mesures keynésiennes, il s'agirait de passer bientôt le relai au privé, en attendant que le retour de la croissance fasse disparaître les problèmes des dettes. Les économistes et les observateurs se montrent plus inquiets : la dérive des finances publiques causée par la crise (dans un contexte où celles-là étaient déjà affectées par le vieillissement démographique) est telle qu'il semble peu raisonnable de s'en remettre à une amélioration spontanée. Le drame, c'est que les solutions envisagées sont douloureuses. D'où l'importance de donner une perspective à l'action publique, de jouer la carte européenne et de se soucier d'équité.

En effet, face aux problèmes à surmonter, notamment en matière de finances publiques, certaines décisions risquent d'être douloureuses. Les réformes ne se feront donc pas sans un consensus dans les populations. Cette idée ressort des EEE dans la mesure où plusieurs intervenants ont insisté sur la dimension sociale de la sortie de crise. Ainsi, Peggy Holinger a pointé l'avidité financière des uns et le stress au travail des autres. Simon Tilford a souligné que les gouvernements ne pourraient pas faire admettre des coupes dans certaines dépenses publiques sans s'intéresser aux salaires excessifs. D'autant que les finances publiques ont été mobilisées en 2008 pour sauver de la faillite des banques qui versent à nouveau des "boni" vertigineux à leurs traders.

Les questions liées à l'équité et, partant, à l'accessibilité sociale des réformes, mériteraient d'être examinées d'urgence. En effet, parmi les scénarii envisagés lors des EEE, notamment par Philippe Herzog, il n'est pas possible d'écarter celui d'une rechute brutale de l'activité, causée par un krach obligataire. Actuellement, les déficits en pleine dérive trouvent à se financer en raison de l'abondance des liquidités sur les marchés. A part quelques signaux alarmants (défiance envers la Grèce, par exemple), jusqu'ici tout va bien. Mais si les marchés devaient cesser brutalement d'acheter aussi gracieusement la dette émise par les Etats, l'assainissement des finances publiques ne pourrait plus être considéré comme un problème à traiter après-demain.


L'émergence difficile de solutions pour gérer le social


L'intuition de Confrontations est que la gestion de la crise par les politiques macroéconomiques ne suffit pas. Il faut gérer le social, d'une façon active. Il s'agit d'anticiper et de conduire les restructurations afin de garder une industrie compétitive en Europe, de former - au niveau de la formation initiale ET professionnelle - pour répondre aux besoins des entreprises et préparer les effets du choc démographique (voir à ce titre les articles de François Michaux dans le numéro 27 de l'Option de Confrontations). Deux leçons sont à tirer des EEE. D'une part, la réflexion sur la manière de gérer collectivement les restructurations n'est absolument pas aboutie. Si les initiatives de quelques secteurs sont à signaler, l'Union n'a pas encore débattu de l'idée de créer des agences ou des autorités en charge de ces questions. D'autre part, le manque de personnel qualifié dans certains métiers ne se posera pas seulement demain ; il se fait sentir cruellement dès aujourd'hui. C'est vrai pour les qualifications intermédiaires, comme le montrent plusieurs témoignages entendus lors des EEE, par exemple dans le secteur de l'électronique. Ceci dément le pronostic d'une polarisation future des besoins en matière de compétence.


Des idées pour financer le long terme


La réflexion avance pour que la finance cesse de ne se préoccuper que de court terme et assure le financement du long terme. Une doctrine commune est même en train d'émerger, comme le souligne Franco Bassanini, président de la Cassa de despositi e Prestiti, en faisant mention de la création du "Club des investisseurs de long terme". Pour donner chair à ce frémissement, encore faut-il une régulation financière adaptée (qui non seulement se préoccupe de stabilité, en dissuadant les comportements qui ont mené à la crise, mais aussi entende faciliter le financement de l'économie réelle), ainsi que des nouveaux instruments de financement et des formules d'association public-privé. Souhaitons que, sous l'illusion d'un retour à la normale, le mouvement impulsé par le G20 ne s'essouffle pas.

Beaucoup moins commentée dans le débat public que la limitation des bonus, l'idée avancée en août dernier par lord Adair Turner, président de la FSA (Financial Services Authority, autorité britannique des services financiers), de taxer les transactions financières a été commentée aux EEE. Pour Lord Turner, il s'agissait de dégonfler un secteur devenu "hypertrophié" par rapport au reste de l'économie.

Franco Bassanini considère que le débat sur cette question pourrait constituer l'occasion de réfléchir aux moyens de diversifier le régime des incitations entre les investissements de court terme et les investissements de long terme. Michel Aglietta y voit plutôt le moyen de créer une fiscalité mondiale par rapport à des biens publics globaux. En cas d'accord, ce serait une source de financement pour aider les pays en développement à lutter contre les conséquences du réchauffement climatique.

Rappelons que la proposition de lord Turner fait écho à proposition de l'économiste J. M. Keynes de réduire le rythme de mobilité des capitaux et la liquidité du marché financier. Dans la Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie, il avançait, dans les années 1930, "la création d'une lourde taxe d'État frappant toutes les transactions se révèlerait peut-être la plus salutaire des mesures permettant d'atténuer aux États-Unis la prédominance de la spéculation sur l'entreprise."

Paru dans Interface de Confrontations Europe de novembre 2009

http://www.confrontations.org



Olivier Lacoste est directeur des études à Confrontations Europe


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