par Jean-Sylvestre Mongrenier, le jeudi 29 octobre 2009

Les ministres se sont félicités du fait que la nouvelle
approche américaine inscrive la défense antimissile
en Europe de façon plus marquée dans un contexte OTAN.
L'Alliance et la solidarité en sortiront renforcées. Et à mon avis,
cela est important pour la défense de l'Europe."


Anders Fogh Rasmussen (secrétaire général de l'OTAN),
le 23 octobre 2009.



Du 21 au 23 octobre 2009, le vice-président des Etats-Unis, Joseph Biden, a présenté dans plusieurs capitales d'Europe centrale un nouveau projet de défense antimissile. Le 17 septembre dernier, la remise en cause du "projet Bush" avait été perçue comme une rupture majeure avec les idées et conceptions de la précédente administration. En fait, il semble qu'il s'agisse plutôt d'une inflexion, guidée par la volonté d'ouvrir de nouveaux espaces de manœuvre dans le champ des relations russo-américaines, avec la crise nucléaire iranienne en arrière-plan. Les lignes de force stratégiques demeurent mais le souci de temporiser de l'Administration Obama n'en soulève pas moins des doutes quant à sa capacité à relever les défis.


Initialement, l'Administration Bush avait prévu de déployer des systèmes antimissiles de longue portée en Europe centrale (10 intercepteurs en Pologne et un super-radar en République tchèque), parties intégrantes de Missile Défense destinée à protéger le territoire américain des frappes que des puissances balistico-nucléaires émergentes (Iran) pourraient lui infliger. La composante européenne de la Missile Défense ne protégeant que partiellement les Alliés, un dispositif propre à l'OTAN avait été prévu afin de couvrir les flancs sud de l'espace euro-atlantique (Europe du Sud-Est, Turquie). Le 17 septembre 2009, le secrétaire à la Défense, Robert Gates, a fait savoir que l'Administration Obama renonçait à déployer les systèmes prévus en Pologne et en République tchèque, remplacés par un dispositif "plus fort, plus intelligent et plus rapide". Officiellement, cette décision découlerait d'une analyse affinée de la menace iranienne, l'état d'avancement des missiles balistiques à longue portée brandis par Téhéran ne relevant pas de systèmes aussi puissants. Voire. La décision a en tout cas semé le trouble dans les capitales d'Europe centrale et orientale. En butte à l'hostilité du Kremlin, les ex-satellites de l'URSS cherchent à renforcer l'engagement militaire américain en Centre-Europe.


Vers une défense antimissile "new look"

C'est à juste titre, semble-t-il, que les commentateurs ont interprété cette annonce comme un recul américain devant les virulentes protestations russes contre la composante européenne de la Missile Defense . Au vrai, il ne s'agit pas d'un pur et simple renoncement de la part des Etats-Unis. L'initiative de Barack Obama s'inscrit dans une manœuvre diplomatico-stratégique qui vise le ralliement de Moscou à une politique de sanctions contre le régime iranien qui, pas à pas, s'approche du seuil nucléaire. A l'instar des moutons de Panurge, nombre d'éditorialistes ont loué la clairvoyance et le courage de Barack Obama, l'homme de la rupture avec le « bushisme » tant honni. Annoncée avant même l'élection présidentielle de novembre 2008, une ère nouvelle de l'histoire des relations internationales serait enfin ouverte. Là où le " Noble Octuple Sentier" du Bouddha et la "Bonne nouvelle" prêchée par le Christ auraient échoué à éradiquer le phénomène guerrier, les bonnes intentions du nouveau président américain seraient en mesure de métamorphoser les relations entre unités politiques rivales. Irrépressiblement, l'on songe au grand écrivain catholique anglais, G. K. Chesterton: "Quand les hommes cessent de croire en Dieu, ils ne cessent pas de croire. Ils croient en n'importe quoi". Certes, le panurgisme des commentateurs ne préjuge en rien des qualités et défauts de Barack Obama mais il appert que ce dernier a usé et abusé de ce travers humain.

Un mois après l'annonce du 17 septembre 2009, hâtivement interprétée par ceux qui voudraient y voir une forme de désarmement unilatéral, Joseph Biden a confirmé que les Etats-Unis ne renonceraient pas à installer des systèmes antimissiles - à courte et moyenne portée toutefois - en Pologne et en République tchèque. D'ici 2011, des missiles SM-3 seraient déployés dans un premier temps en Méditerranée (sur des navires), au contact de l'arc de crises et de prolifération qui jouxte l'Europe sur ses flancs sud et sud-est. Entre 2015 et 2018, certains de ces missiles SM-3 seraient ensuite implantés en Europe centrale. De surcroît, Washington honorerait l'accord signé par George W. Bush avec Varsovie en 2008 et, dès l'an prochain, des missiles Patriot pourraient être déployés sur le territoire polonais. Les gouvernements polonais, tchèque et roumain d'abord, l'ensemble des ministres de la défense de l'OTAN ensuite (Bratislava, 22-23 octobre 2009), ont fait connaître leur intérêt pour cette nouvelle version de la Missile Defense, complétée par la vente de missiles Patriot à la Turquie .

Si les faits suivent, le couplage stratégique euro-américain et l'indivisibilité de la sécurité transatlantique seraient durablement réaffirmés, au grand dam des "challengers" périphériques. Dans leur confrontation latente avec les puissances émergentes qui entendent remettre en cause l'hégémonie occidentale, les Alliés bénéficieraient ainsi de nouvelles options stratégiques. Face à la Russie, la présence de systèmes d'armes américains en Centre-Europe donnerait plus de corps à la clause d'assistance mutuelle du traité de l'Atlantique-Nord (article V) et consoliderait dans la durée l'extension des frontières de la liberté et du marché à l'Est. Quant à savoir si cette défense antimissile "new look" serait véritablement mutualisée au sein de l'OTAN, cela dépendra des moyens que les alliés européens seront prêts à mettre sur la table. L'involution des dépenses militaires européennes, sur fond de récession et de déficits budgétaires, ne va pas dans le sens du "partage du fardeau" ("burden-sharing") et, corrélativement, de la redistribution des responsabilités entre les deux rives de l'Atlantique. Ce n'est pas là une simple question de conjoncture économique et donc de patience ; en période de croissance, il est avéré que la tendance générale n'est guère plus favorable et, dans bien des pays européens, l'administration du "bonheur national brut" a pris le pas sur la volonté de se maintenir dans le champ du politique, en tant que puissance. C'est à l'aune des capacités et des budgets militaires que l'on jauge des intentions.


Un incertain marchandage russo-américain


Dans un premier mouvement, la décision américaine de réviser à la baisse le " projet Bush" a été saluée par les dirigeants russes qui ont voulu voir dans cette annonce, aboutissement de leurs pressions multiformes, une victoire diplomatique. Nonobstant les difficultés techniques de la chose, la voie d'un accord nucléaire stratégique bilatéral semble résolument ouverte. La perspective d'un tel accord entre dans la vision d'un désarmement nucléaire général mais le plus important réside dans le traitement de la crise nucléaire iranienne. Quelques jours avant l'Assemblée générale de l'ONU à New-York (septembre 2009), Barack Obama a cherché à dissocier la Russie de l'Iran, ces deux puissances entretenant un étroit partenariat stratégique, y compris sur le plan du nucléaire. L'objectif est de rallier Moscou à des sanctions internationales renforcées contre le régime iranien et d'obtenir que la Russie n'honore pas le contrat de livraison des S-300, des systèmes anti-aériens de pointe susceptibles d'entraver le bon déroulement d'un raid aérien américain, ou israélien, sur les sites nucléaires iraniens. Dans le cadre de l'OTAN, les Occidentaux envoient aussi un certain nombre de signaux à la Russie, laissant à penser que bien des portes lui seraient ouvertes si elle se désolidarisait de l'Iran.

Dans un premier temps, la réaction de Dmitri Medvedev a été de se féliciter de la décision américaine, son premier ministre, Vladimir Poutine, restant plus en retrait. Devant des experts internationaux réunis au sein du Club de Valdaï, Dmitri Medvedev a vaguement évoqué la possible levée du veto russe contre une nouvelle résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, résolution assortie de sanctions renforcées. Toutefois, l'hypothèse est abordée dans le registre de la méditation mezzo voce – "Des sanctions, pourquoi pas ? Elles peuvent parfois s'avérer efficaces - et la suite des événements a montré les limites de l'exercice. Le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a d'emblée exclu cette perspective et le voyage en Russie d'Hillary Clinton, son homologue américain, du14 au 16 octobre 2009, s'est achevé par une visite du Tatarstan et un éloge obligé du multiculturalisme « made in Russia ». La discussion des sanctions contre le régime iranien et le jeu conjugué des pressions russes et américaines sur Téhéran sont remis sine die .

Vaille que vaille, l'axe diplomatico-énergétique russo-iranien perdure et les spéculations occidentales sur les inflexions de Moscou tiennent plus du test de Rorschach que de l'analyse raisonnée . Sur le marché des armes et du nucléaire comme dans les représentations géopolitiques eurasiennes qui ont cours en Russie, l'Iran est un pays clef et un quasi-allié de Moscou ; on imagine difficilement le Kremlin sacrifier ce partenariat sur l'autel des bonnes relations avec les puissances occidentales. Les gouvernants actuels des Etats-Unis et ceux de certains pays membres de l'OTAN partagent le préjugé selon lequel les dirigeants russes souhaiteraient rehausser leurs relations avec l'Occident. Sommes-nous seulement sûrs de la chose ? La répétition d'énoncés performatifs ne vaut pas démonstration.

De surcroît, la réévaluation à la baisse de la menace iranienne qui, selon les dires de Washington, justifierait la reconfiguration du dispositif antimissile vient contredire sur le plan diplomatique la volonté américaine de refouler les ambitions balistico-nucléaires de Téhéran. Il est désormais aisé pour la diplomatie russe de se reporter aux affirmations des officiels américains pour nier le danger et refuser de mettre en œuvre une politique efficace de sanctions. De même, si Téhéran acceptait effectivement le projet d'accord mis au point à Genève, le 21 octobre dernier, pour clore cette crise nucléaire, nous ne serions pas sortis d'affaire. Rappelons les termes de cet accord, unanimement célébré comme une percée diplomatique bien que la partie iranienne ait fait part de ses réticences et laisse en suspens sa réponse. L'idée est de faire sortir d'Iran la production d'uranium faiblement enrichi (à un taux suffisant pour la production d'énergie électrique) pour procéder à un enrichissement plus important (à des fins médicales), dans le cadre d'une filière internationale que les Etats-Unis, la France et la Russie superviseraient. L'uranium enrichi serait sous contrôle international ce qui permettrait tout à la fois de satisfaire les ambitions civiles de l'Iran et d'endiguer ses ambitions militaires. A bien y regarder, cette solution - certes satisfaisante pour les hommes épris de raison et de mesure – est à double tranchant.


Les manœuvres dilatoires de Téhéran


D'une part, la difficile mise en œuvre de ce plan ouvrirait à Téhéran maintes possibilités de tactiques dilatoires et de contournement, avec pour objectif de gagner du temps et d'atteindre le seuil du nucléaire militaire : dès lors, le régime serait en mesure de développer une stratégie de "sanctuarisation agressive" et de travailler à la déstabilisation des positions occidentales au sein du Grand Moyen-Orient. D'autre part, la Russie pourrait prendre prétexte de la « bonne volonté » iranienne pour décider de livrer les S-300 nécessaires à la protection aérienne des installations nucléaires civiles (dont la centrale de Bouchehr, construite par les Russes sur les rives du golfe Arabo-Persique). Confrontés à la mauvaise foi du régime iranien, les Occidentaux éprouveraient plus de difficulté encore à brandir l'option militaire. Enfin, il faut se demander si les services américains ne sous-estiment pas les capacités balistiques iraniennes. Les essais succèdent aux essais et le régime iranien a d'ores et déjà prouvé que ses ingénieurs spatiaux étaient capables de mettre sur orbite un satellite, ce qui implique la possession de lanceurs lourds . Dès lors, peut-on véritablement affirmer que l'Iran, d'ici 2015, ne maîtrisera pas les technologies balistiques de longue portée ? Le "projet Bush" avait pour mérite de préempter une telle menace (le "projet Obama" ne serait pas en mesure d'intercepter des missiles intercontinentaux avant 2018).

Au total, il serait excessif de voir dans la remise en cause du "projet Bush" une capitulation en rase campagne, susceptible de déclencher un effet-domino au sein de l'OTAN et des alliances occidentales. Dans sa présentation actuelle, la version "Obama" de la défense antimissile constituerait une protection effective de l'Europe contre les menaces des puissances proliférantes et le droit légitime de l'OTAN de déployer de tels systèmes sur les territoires des alliés centre-est européens est réaffirmé. Nul doute à cet égard que la diplomatie russe ne monte à nouveau en ligne contre ce "new look" stratégique (le mouvement est déjà amorcé par diverses "petites phrases"). Vue de Moscou et d'autres capitales peu sensibles aux thématiques émollientes de la "Post-Modernité" et du New Age, il est à craindre que cette initiative américaine ne soit interprétée comme un signe de faiblesse et de déclin.

En effet, la diplomatie ne repose pas seulement sur des considérations d'ordre technique, des formules rationnelles et des modèles de décision issus de la théorie des jeux. Signes et symboles pèsent lourd dans la dimension immatérielle des rapports de puissances et leur manipulation conditionne en partie l'issue de l'épreuve des forces. Par ailleurs, il semble que l'Administration Obama, toute à sa tentative de restaurer l'art de la manœuvre sur le plan diplomatique, sous-estime la volonté de puissance tant de l'Iran que de la Russie, volonté amplifiée par l'esprit de revanche et que prolonge dans l'ordre international leur pouvoir de nuisance. En l'état actuel des choses, l'étroit partenariat Moscou-Téhéran demeure indissoluble et la Chine, hostile à de nouvelles sanctions (et plus encore à un scénario militaire), est en embuscade. Telle est la réalité du "monde multipolaire harmonieux" et du nouvel ordre de la Terre. Le dénouement de cette crise reposera donc, en tout premier lieu, sur les solidarités politiques et stratégiques qui lient les Occidentaux de l'Ancien Monde à ceux du Nouveau Monde.

From October 21st to October 23rd, the Vice-President of the United-States, Joseph Biden, has presented a new missile defense project in several Centre-Europe capitals. On September 17th, questioning the “Bush project” had been perceived as a major rupture with the previous Administration's ideas and conceptions of the. In fact, it seems that it would rather be an inflection guided by the will to open a new space of room into the Russian-American relations, in the context of the Iranian nuclear crisis. The strategic broad outlines are the same but the Obama Administration's concern for temporizing questions its capability to meet challenges.




Chronologie : l'OTAN et les systèmes antimissiles


Défense contre les missiles de théâtre (TMD)

Mai 2001 :L'OTAN lance parallèlement deux études de faisabilité portant sur un futur système TMD de l'Alliance.

Juin 2004 : Au Sommet d'Istanbul, les chefs d'État et de gouvernement des pays de l'OTAN donnent pour instruction de poursuivre sans délai les travaux liés à la défense contre les missiles balistiques de théâtre.

Mars 2005 : L'Alliance approuve la création d'une organisation de gestion du programme sous l'égide de la Conférence des directeurs nationaux des armements (CDNA).

Septembre 2006 : L'Alliance attribue le premier grand contrat prévoyant la création d'un banc d'essai pour le système.

Février 2008 : Le banc d'essai est ouvert, et déclaré pleinement opérationnel neuf mois avant la date prévue.

Année 2008 : La conception du système pour l'élément commandement et contrôle du système de défense contre les missiles de théâtre fait l'objet de vérifications par le biais d'essais mettant en œuvre des systèmes et des installations nationaux, grâce au banc d'essai intégré, ce qui ouvre la voie à l'acquisition de la capacité.

Défense antimissile de grande envergure

Novembre 2002 : Au sommet de Prague, les dirigeants des pays de l'Alliance donnent pour instruction de lancer une étude de faisabilité sur la défense antimissile afin d'examiner les options relatives à la protection du territoire, des forces et des populations des pays de l'Alliance contre toute la gamme des menaces liées aux missiles.

Avril 2006 : La défense antimissile est jugée techniquement faisable dans le cadre des hypothèses et des limites de l'étude. Les résultats sont approuvés par la Conférence des directeurs nationaux des armements (CDNA).

2007 : Achèvement de l'actualisation d'une évaluation des développements de la menace posée par les missiles, qui avait été effectuée par l'Alliance en 2004.

Avril 2008 : Au sommet de Bucarest en avril 2008, les dirigeants des pays de l'Alliance ont décidé que le projet d'implantation en Europe de moyens de défense antimissile des États-Unis devrait être intégré dans toute architecture future de défense antimissile à l'échelle de l'OTAN. Ils ont demandé que soit définies, à temps pour être examinées au prochain sommet de l'OTAN en 2009, des options pour une architecture globale de défense antimissile visant à étendre la couverture au territoire de tous les pays de l'Alliance non couverts par le système de s États-Unis.

Décembre 2008 : Les options relatives à l'extension de la couverture au territoire de tous les pays de l'Alliance non couverts par le système de défense antimissile des États-Unis sont soumises à la Conférence des directeurs nationaux des armements, dans la perspective des débats du prochain sommet.



2003 : Une étude est lancée, sous l'égide du COR, en vue d'évaluer les niveaux possibles d'interopérabilité des systèmes TMD des États membres de l'OTAN et de la Russie.

Mars 2004 : Un exercice de poste de commandement du COR sur la TMD est organisé aux États-Unis.

Mars 2005 : Un exercice de poste de commandement du COR sur la TMD est organisé aux Pays-Bas.

Octobre 2006 : Un exercice de poste de commandement du COR sur la TMD est organisé en Russie.

Janvier 2008 : Un exercice du COR assisté par ordinateur sur la TMD est organisé en Allemagne.

Source : site de l'OTAN (http://www.nato.int/cps/fr/natolive/index.htm)



L'OTAN comme instance de coordination des efforts européens


Pour les questions de défense européenne (stricto sensu), l'OTAN s'impose comme instance de coordination et de décision ; c'est dans ce cadre que les alliés européens développent leurs projets et apportent leur soutien à la Missile Defense. Le programme dit d'ALTMBD a vocation à fédérer les différents programmes nationaux, bilatéraux ou multilatéraux dans le champ des défenses de théâtre. C'est aussi dans le cadre de l'OTAN qu'a débuté le déploiement opérationnel de l'ACCS (Air Command and Control System), le futur système de commandement de la défense aérienne des Alliés, doté à terme de fonctions antimissiles et interopérable avec le C2BMC (Command, Control, Battle Management and Communications), le système américain*. En 2002, l'OTAN a aussi mené une étude de faisabilité d'une défense antimissile des territoires, partiellement esquissée par l'ATLBMD et renforcée par l'implantation de systèmes américains en Europe centrale (le « projet Bush »). Une étude de juin 2006 a conclu à l'existence d'une menace balistique et à la nécessité de protéger les populations civiles des pays membres de l'OTAN. Le 14 juin 2007, les ministres de la Défense alliés ont accepté le principe du bouclier spatial américain et l'OTAN pourrait financer un dispositif complémentaire pour protéger les pays du Sud-Est de l'Alliance (Grèce, Bulgarie, Roumanie, Turquie), non couverts par la Missile Defense. Ce soutien de l'OTAN à l'initiative américaine a été réaffirmé lors du sommet de Bucarest, en avril 2008.

Pourtant, il faut être conscient du fait que la Missile Défense, sous la précédente administration américaine, était octroyée par les Etats-Unis plus que mutualisée au sein de l'OTAN. Pour l'essentiel, cette initiative stratégique était développée dans un cadre bilatéral (Etats-Unis/Pologne ; Etats-Unis/République tchèque), non point multilatéral, et l'OTAN accompagnait le mouvement plus qu'elle ne le suscitait (le système-OTAN prévu pour les flancs sud et sud-est n'était que complémentaire). La nouvelle administration ayant décidé de « remettre à plat » la Missile Defense, il est effectivement souhaitable que cette question soit pleinement traitée dans l'OTAN. Une approche multilatérale des enjeux permettrait de mieux associer les alliés européens à l'analyse des risques et à la mise en œuvre de ce programme, de prévenir de nouvelles lignes de divisions au sein de l'OTAN et d'élaborer un véritable consensus transatlantique. Pour mener à bien ce programme et protéger l'Europe de futures menaces balistico-nucléaires, passer l'OTAN est une meilleure option que de privilégier une étroite « coalition de bonnes volontés ».

L'un des problèmes mis en avant dans la mise en œuvre des systèmes antimissiles porte sur le partage de la décision ; la Missile Defense est parfois présentée comme une puissante machine d'intégration politique et militaire. De fait, la question de l'autonomie de décision, particulièrement importante du point de vue français, ne doit pas être éludée. On se gardera pourtant d'aborder cette question à travers le prisme des polémiques du passé (articulation de la force de frappe française avec la stratégie nucléaire de l'OTAN) et moins encore de voir dans la Missile Defense un complot contre la force de frappe française. La décision de frapper un missile ennemi (le « hit to kill ») n'est pas aussi lourde de conséquences que celle de recourir à l'arme nucléaire, en cas d'échec de la dissuasion, et ce type de question se rapproche plus de celles qui ont été solutionnées, au sein de l'OTAN, pour l'organisation de la défense aérienne dans une espace stratégique unifié (la défense antimissiles pourrait être assimilée à une forme de défense aérienne élargie). La tâche n'est donc pas insurmontable, loin s'en faut, et le recours à l'OTAN aurait aussi pour fonction d'apporter une réponse satisfaisante. Cela dit, le principe selon lequel « qui paie commande » s'impose de fait. Si les Européens entendent être en mesure de peser sur les choix, les programmes et les procédures, ils devront s'engager sur le plan financier. Si par choix ou nécessité ils voulaient se doter d'un système global propre à l'OTAN, sans l'apport des capacités nationales des Etats-Unis, il leur faudrait débourser de 20 à 27 milliards de dollars sur vingt ans. « Point d'argent, point de Suisses » !

J.-S.M.

* Une fois déployée en totalité, à l'horizon 2012-2014, cette architecture d'ensemble pourrait assurer une défense antimissiles de théâtre contre des missiles à courte et moyenne portée (jusqu'à 3000 km).


La Russie contre des systèmes antimissiles européens


A Moscou, les systèmes antimissiles sont présentés comme une menace pour les forces nucléaires stratégiques russes : ces systèmes seraient déployés pour contrer les ICBM (missiles sol-sol intercontinentaux) qui pourraient menacer les Etats-Unis dans leurs œuvres vives. L'extension à l'Europe de la Missile Defense s'inscrirait donc dans une stratégie de première frappe visant à interdire à la Russie toute riposte et remettrait donc en cause la stratégie de dissuasion (les Etats-Unis passeraient de la « destruction mutuelle assurée » à la « destruction unilatérale assurée »). Cette argumentation est spécieuse : un bouclier n'est pas une menace et s'il faut suivre avec attention les débats techniques, il n'est pas indispensable de détenir un doctorat en physique appliquée pour pouvoir affirmer qu'une dizaine d'intercepteurs déployés en Pologne ne serait pas en mesure de neutraliser le puissant arsenal nucléaire russe, pas même une capacité de seconde frappe. C'est là chose normale puisque la Missile Defense n'est pas conçue à ces fins mais pour contrer la menace grandissante de la prolifération au Moyen-Orient (« Rogue States » et autres acteurs anomiques). De surcroît, les Etats-Unis ont cherché à apporter des garanties aux Russes (visites de Robert Gates et Condoleezza Rice à Moscou, en mars 2007, sommet Bush-Poutine de Sotchi, les 5-6 avril 2008). Les différentes ouvertures américaines ont été rejetées.

On peut douter de la bonne foi de la Russie sur la question des antimissiles. Les experts balistiques russes ont affirmé que le bouclier déployé en Europe ne pourrait pas neutraliser l'arsenal nucléaire de leur pays et, sur ce point, nous pouvons leur faire confiance. Avec la Missile Defense, l'Europe ne se transformerait pas en plate-forme d'une stratégie de frappe désarmante contre la Russie. Il faut donc s'interroger sur les raisons qui peuvent expliquer l'hostilité de la Russie à l'encontre de ces systèmes et de leur implantation en Europe centrale. En première analyse, il semble que le programme de Missile Defense offre aux dirigeants russes l'opportunité de diviser les Alliés, comme lors de la crise irakienne, et de jouer sur les réticences et le scepticisme de certains des gouvernements européens. L'objectif russe serait donc d'introduire un coin entre la « vieille » et la « nouvelle » Europe d'une part, l'Europe et les Etats-Unis de l'autre. Ainsi Vladimir Poutine explique-t-il que l' « Europe » n'a pas été consultée, ce qui est faux puisque les pays européens membres de l'OTAN ont apporté leur soutien à l'initiative américaine lors de différents sommets atlantiques. Il ne s'agit là que d'opposer l'UE à l'OTAN selon un procédé de langage faisant fi des larges intersections qui lient le destin des instances euro-atlantiques. Ce faisant, il s'assure le concours de personnes promptes à distinguer artificiellement la « gentille UE » de la « méchante OTAN ».

Les tenants et aboutissants de la position russe ne sont pourtant pas réductibles à un simple effet d'aubaine – instrumentaliser la Missile Defense pour semer les germes de la division – et l'opposition de Moscou à l'implantation de systèmes américains en Europe est un fil conducteur pour comprendre les représentations géopolitiques russes. A l'évidence, la Russie considère comme illégitime la présence militaire américaine et l'extension de l'OTAN sur les territoires d'anciens pays satellites et elle revendique implicitement une sorte de nouvelle doctrine Brejnev dans l'ex-Pacte de Varsovie (en sus de l'espace de la CEI) niant la souveraineté effective des pays considérés. Un jour, peut-être … Plus généralement, la Russie ne semble pas avoir perdu espoir d'assister au désengagement des Etats-Unis depuis le continent européen, sous la pression des opinions publiques et faute d'un accord stratégique d'ensemble entre les Alliés. Un tel mouvement remettrait en cause l'OTAN et la situation ouvrirait à la Russie la possibilité de devenir la puissance dominante en Eurasie. En fait, l'intégration de l'Europe dans la Missile Defense serait un « marqueur » territorial et géopolitique : les Etats-Unis resteraient militairement engagés en Europe et l'alliance transatlantique conserverait sa pertinence. Cela ne peut que contrarier la vue-du-monde et les rêves de puissance de la classe dirigeante russe.
J.-S.-M




Missile Defense et partenariat géopolitique russo-iranien


Selon certaines analyses, renoncer à déployer des systèmes antimissiles en Europe serait le prix dont il faudrait s'acquitter pour obtenir le ferme appui de la Russie dans la crise nucléaire iranienne, l'une des priorités internationales de la nouvelle Administration américaine, en sus de l'Afghanistan, promu front principal de la lutte contre l'islamisme et le terrorisme. On doit faire part d'un certain scepticisme quant à la perspective d'une grande alliance entre la Russie et l'Occident, constituée pour faire plier l'Iran. De fait, la Russie prétend jouer les intermédiaires entre les Occidentaux et l'Iran mais l'« honnête courtier » fait plutôt figure de « parrain ». Il est vrai que la Russie a voté les diverses résolutions de l'ONU mais elle s'est employée à en réduire la portée, entamant ainsi la force des sanctions internationales. C'est au moyen d'une coalition diplomatique occidentale (Etats-Unis, Royaume-Uni et France en tout premier lieu) que les sanctions les plus effectives sont mises en œuvre. Par ailleurs, Moscou assure une couverture diplomatique à Téhéran, au sein du Conseil de sécurité des Nations unies, par le truchement d'étroites relations bilatérales ainsi que l'Organisation de Coopération de Shanghaï (OCS), structure dans laquelle l'Iran dispose d'un siège d'observateur.

Le partenariat entre la Russie et l'Iran est étroit et ne relève pas d'une simple coalition de circonstances. La Russie vend d'importantes quantités d'armes à l'Iran et elle pourrait aussi livrer des systèmes antiaériens modernes, les S-300 (rien n'est encore sûr ; la situation est confuse*). Moscou fait aussi commerce de sa technologie nucléaire, avec la construction de la centrale de Bouchehr. En décembre 2007, la Russie a livré à l'Iran l'uranium enrichi nécessaire à cette centrale, après avoir laissé entendre aux diplomaties occidentales qu'elle utiliserait cette carte pour faire pression, jusqu'à ce que Téhéran renonce à l'enrichissement de l'uranium. Ces deux mêmes pays cherchent à renforcer leur coopération énergétique, ont annoncé la fondation d'une « troïka » du gaz (avec le Qatar) et poussent en avant l'idée d'une « OPEP » du gaz. Il faudrait enfin prendre en compte des projets de coopération logistique et d'interconnexion des réseaux de transport (un canal entre la mer Caspienne-golfe Arabo-Persique pour concurrencer la route de Suez ?) ainsi que des coopérations dans le domaine spatial.

Le partenariat entre la Russie et l'Iran est donc un partenariat global. Peut-on aller jusqu'à parler d'alliance, voire d'axe Moscou-Téhéran ? Les spécialistes ne sont pas unanimes sur cette question et il n'existe pas de clause de défense mutuelle entre ces deux Etats. En tout cas, il est établi que la Russie ne sacrifiera pas aisément de solides acquis diplomatiques, stratégiques et économiques à la lutte contre la prolifération. Pour Moscou, refouler l'Iran et ses ambitions nucléaires n'est pas la priorité et les Européens ne sauraient scotomiser ce fait. Faut-il lâcher la proie pour l'ombre et renoncer aux systèmes antimissiles, dans l'espoir que Moscou fera pencher la balance au bénéfice des Occidentaux ? L'art de la prudence ne le conseille pas ; l'expérience historique non plus.

J.-S.M.

* Le 21 décembre 2008, Email Kosari, vice-président de la commission des Affaires étrangères du Parlement iranien, a annoncé la livraison par Moscou de missiles sol-air S-300 (Agence de presse Irna). Le Service fédéral de la coopération militaro-technique (agence russe en charge de la coopération militaire) a nié la chose le lendemain mais le service de communication de l'exportateur d'armes russe, Rosobonexport, a confirmé l'information iranienne. Depuis, le sujet est récurrent et il constitue une dimension essentielle des relations entre la Russie, Israël et les Etats-Unis.



Jean-Sylvestre Mongrenier


Docteur en Géographie-Géopolitique, Jean-Sylvestre Mongrenier est chercheur à l'Institut Français de Géopolitique (Paris VIII) et chercheur associé à l'Institut Thomas More.


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