Lors de son discours sur l'Europe à Nîmes mardi dernier, Nicolas Sarkozy a réussi le tour de force d'employer au moins à trois reprises l'expression " Pères Fondateurs", sans prononcer une seule fois le nom ni de Jean Monnet, ni de Robert Schuman, ni d'Alcide de Gasperi ou de Paul-Henri Spaak
Des noms qui, sur le plan de la campagne politique n'apporteraient probablement rien aux suffrages pouvant se porter sur un parti politique proche du Président
.François Bayrou se serait vu quant à lui interdire d'hommage à Robert Schuman à Schy-Chazelle le village de l'ancien ministre des affaires étrangères en Lorraine pour des raisons bassement partisanes et électorales
Tout cela montre une chose : d'une part les Pères fondateurs appartiennent à l'Histoire et au domaine public, ce qui veut dire que rien ni personne ne saurait s'en attribuer une sorte d'héritage perpétuel et que la fête de l'Europe du 9 mai devrait être une journée d'unité pour les Européens de cur.
D'autre part, cette référence peut être tout à fait légitime lorsqu'un responsable politique s'inscrit clairement dans la lignée des Pères fondateurs ; mais en l'espèce, si le président de la République a procédé lui-même à ce rapprochement, les seuls noms qu'il a cités sont ceux du général de Gaulle et de Konrad Adenauer. Certes qui pourrait nier le rôle essentiel joué par les deux dirigeants qui, au cours des années 1960, ont scellé politiquement la réconciliation franco-allemande, donnant naissance au Traité de l'Elysée qui a permis une coopération au jour le jour entre les deux pays ainsi que le rapprochement entre les deux pôles grâce notamment à l'office franco-allemand de la jeunesse ?
Mais il faut pourtant le dire, l'Europe n'a pas attendu les deux dirigeants pour se réconcilier et le général De Gaulle ne saurait être qualifié de "Père fondateur", historiquement.
En effet, le même Adenauer avait donné son plein accord pour la création, en 1951, de la communauté européenne du charbon et de l'acier, négocié avec le gouvernement français, dont Robert Schuman. Rappelons-nous la fameuse déclaration Schumann du
9 mai 1950 qui avait permis, grâce à l'action sans relâche de Jean Monnet et à une communauté d'esprit avec Robert Schuman, de lancer ce projet de coopération avec l'Allemagne, scellant ainsi l'acte fondateur de la réconciliation franco-allemande.
Encore une fois, sans nier le rôle du général de Gaulle, il ne saurait être qualifié de Père fondateur ; or en employant cette expression à côté du nom du général, le chef de l'Etat risque de créer une confusion à la fois historique et politique.
La notion de Père-fondtaeur s'entend comme l'uvre de quelques personnalités ayant construit de toute pièce l'actuelle Union européenne, ainsi que son esprit politique et juridique. Il faut avoir le courage de le dire, la vocation de l'Europe des Pères fondateurs était incontestablement fédérale, c'est-à-dire ayant vocation à constituer un ensemble politique démocratique et pouvant prendre des décisions engagent l'ensemble des Etats. Aujourd'hui, malgré les péripéties, c'est bien cette vision qui domine dans un certain nombre de domaines : la Banque centrale européenne bat monnaie avec l'euro et elle ne peut pas recevoir d'ordre des gouvernements nationaux. La Cour de justice des communautés européennes a créé depuis 40 ans un ordre juridique communautaire supranational, notamment en ce qui concerne la liberté d'établissement et de circulation que les Etats doivent appliquer sauf à encourir des sanctions.
On voit bien que l'expression Père-fodnateur ne peut s'appliquer au général de Gaulle qui n'était européen pourvu que l'Europe fût française comme cela a été amplement démontré par les historiens
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Il faut donc faire attention à la confusion. On peut être un bon Européen, avoir contribué à la construction européenne sans pour autant pouvoir être qualifié de "Père fondateur".
Par ailleurs, les récents propos du chef de l'Etat ont laissé entrevoir sa conception de l'Europe : celle des grands Etats nations, soit une vision somme toute classique d'une Europe gaulliste, c'est-à-dire à vocation essentiellement intergouvernementale.
Il serait donc tout à fait légitime que dans les quelques semaines qui nous restent d'ici au scrutin, ce sujet soit débattu.
Patrick Martin-Genier est Secrétaire Général de l'Association Jean Monnet