par Philippe Herzog, le lundi 04 janvier 2010

Poids des dettes publiques, "tragédie" grecque et tensions britanniques. Taxe sur les bonus et débats sur la régulation financière. Gouvernance et budget européen.


1- La politique monétaire a eu une responsabilité importante dans la crise. La rapide réaction de la Fed au lendemain de l'éclatement de la bulle Internet et l'abaissement prolongé de son taux directeur ont encouragé les ménages à s'endetter et ont nourri une bulle immobilière. Elles ont aussi incité les acteurs financiers à prendre des risques inconsidérés. Bref, elle a alimenté le surendettement. Pourtant, la réactivité de Ben Bernanke face à la crise actuelle l'a conduit à être couronné homme de l'année 2009 par le magazine Time !

Si Etats et banques ont réagi de concert et de manière audacieuse en 2008, la suite du scénario est en revanche bien plus opaque. Le désordre prévaut dans les stratégies de sortie de crise. La divergence des messages politiques est la tendance dominante. Alors que la majorité des pays continuent de s'enfoncer dans la dette, certains affichent déjà une certaine volonté de redressement des comptes publics. Sortir, mais quand et comment ?

Notre Groupe crise a conclu à la nécessité du maintien des soutiens non conventionnels dans la période actuelle, mais il faut préparer des changements de politiques monétaires et budgétaires. Malgré la reprise qui se dessine, Jean-Claude Trichet affirme que le niveau de taux "est approprié" et la Fed vient d'annoncer qu'elle maintiendrait ses taux d'intérêts à un niveau exceptionnellement bas pour une "période prolongée". C'est une bonne chose. Rappelons que la BCE estime à 550 milliards d'euros les pertes qui seront finalement enregistrées par les banques de la zone euro entre 2008 et 2010.
Mais cela n'empêche pas d'être attentif aux conséquences déjà visibles de l'inondation de liquidités sur différents marchés. La politique monétaire devra désormais contrôler l'évolution du crédit, d'où l'intérêt de donner à la BCE un rôle clé dans la supervision macroéconomique. Michel Aglietta a en effet démontré lors des Entretiens Economiques Européens que la politique monétaire européenne devra fixer une norme d'évolution du crédit (contrôle du montant agrégé du crédit au secteur privé avec des instruments quantitatifs imposés aux institutions financières systémiques).

Où va aujourd'hui l'argent distribué si généreusement par les banques centrales ? Les Etats d'un côté en profitent pour financer les dettes publiques, mais ce sont surtout les banques qui sont les grandes gagnantes ! La Société Générale affiche ainsi une activité en plein boom avec +43% par rapport au 3ème trimestre de 2008.

Les banques utilisent-elles cette manne pour assainir leur situation ? Le risque est surtout qu'elles tirent les bénéfices à court terme d'une politique qui leur assure des profits faciles sans pour autant remplir leur mission de financeur de l'économie.

Et Paul Krugman [12] de citer Paul Samuelson dans son ouvrage de 1948 pour expliquer l'inefficacité des politiques monétaires en cas de dépressions graves : les banques centrales peuvent certes encourager les banques à accroître l'offre de monnaie dans l'économie mais elles ne peuvent pas les y contraindre. Ces dernières sont en effet réticentes à faire de nouveaux investissements ou à offrir des prêts. En d'autres termes, on ne peut forcer la monnaie à circuler contre de nouveaux biens ou de nouveaux emplois. Si l'on analyse les réserves des banques, on ne peut en effet que constater l'empilement massif de la monnaie dans les bilans des institutions financières.



2- Après Dubaï, voici venu le temps de la peur des PIGS - Portugal, Irlande, Grèce et Espagne. D'après l'OCDE, les déficits publics sont évalués à 6,7% pour le Portugal, 12,2% pour l'Irlande, 12,7% pour la Grèce et 9,6% pour l'Espagne en 2009 et sont estimés respectivement à 7,8% ; 11,6% ; 12% et 7,7% pour 2011. Les marchés, déjà nerveux, continuent de tester la fiabilité des Etats, comme le mentionnait déjà la chronique précédente (voir la Chronique N°7).

La précarité de la situation budgétaire du gouvernement grec ne fait aucun doute. La dernière fois que le budget fut à l'équilibre, c'était en 1972, sous la dictature des Colonels. Depuis lors, la moyenne des déficits s'est établie à 6% du PIB. Toutefois, la Grèce a très peu de risque de faire défaut, le prix de sa dette n'est pas remonté au niveau pré-euro.

Mais le message adressé au nouveau gouvernement grec est très clair : la fête est finie ! Au-delà des mesures classiques de réduction des dépenses et d'augmentation des impôts, d'autres mesures drastiques doivent être envisagées pour restaurer durablement la confiance. Quelles pistes ? Jacques Delpla du Conseil d'analyse économique propose à la Grèce de "terminer la Guerre de Troie et se référer à Aristote [13]" . Terminer la guerre de Troie avec son voisin turc tout d'abord. La Grèce consacre 4,3% de son PIB aux dépenses militaires ; alors que la France n'en consacre que 2,5%. La Grèce doit également s'engager à revenir, sans retour possible, à la sobriété budgétaire avec un engagement irrévocable de réduction de ses déficits à moyen terme. L'idée allemande d'inscription dans la Constitution d'une règle de retour à l'équilibre budgétaire à moyen terme semble un outil intéressant – voire indispensable - pour que la Grèce recouvre la crédibilité budgétaire dont elle a tant besoin.

Oui mais à vouloir pousser le gouvernement grec à adopter un plan d'austérité à l'irlandaise en multipliant les déclarations publiques d'inquiétude, les chefs d'Etats européens n'en sont-ils pas venus à aggraver la crise grecque ? La question posée par Wolfgang Münchau [14] a le mérite de souligner en quoi les dirigeants européens ont ajouté à la confusion des investisseurs en donnant l'impression de lier garantie de sauvetage et respect du Pacte de Stabilité. Si la garantie avait été 100% crédible, il n'y aurait pas eu de différentiel entre bonds allemands et grecs. Au final, la situation est telle qu'au lieu de renforcer la pression sur la Grèce, les pays de la zone euro se retrouvent dans une situation de quasi-obligation de lui venir en aide, qu'il y ait réforme ou pas.

Faut-il écrire une procédure de sauvetage qui serait conditionnelle à un ajustement budgétaire aussi sérieux que celui demandé par le FMI ? Passer outre et voler au secours d'une dette accumulée sans raison pendant trois décennies créerait un sérieux problème d'aléa moral. Autant de questions qui soulignent l'impérieuse nécessité d'instaurer un système de management de crise à l'échelon européen.

Le Royaume-Uni pourrait bien lui aussi être contraint à une politique de rigueur drastique. En effet, sa situation économique est particulièrement critique, comme nous le montrent les prévisions du Trésor britannique. _ C'est seulement en 2012 que l'économie britannique va regagner son niveau de 2008. Quatre années de croissance auront ainsi été perdues. Selon les calculs de Martin Wolf [15], si la croissance reprenait à un taux de 3,25%, il faudrait attendre 2031 pour que la taille de l'économie soit aussi grande que si la tendance 1998-2007 avait perduré ! Les pertes cumulées seraient évaluées à 160% du PIB de 2007. Des chiffres à faire froid dans le dos.

Le Royaume-Uni n'a pas uniquement fait face à une crise financière, il affronte en réalité une crise structurelle de son économie monoculture, les services financiers jouant le rôle de la culture. Et les conséquences d'une telle constatation sont douloureuses d'après Martin Wolf : il est probable que le Royaume-Uni souffre d'un déclin permanent de la pente de son chemin de croissance. Non seulement un plan de sauvetage drastique est nécessaire mais un véritable débat politique sur la répartition des pertes semble inévitable. Aucune surprise donc que l'on assiste au retour du thème de la politique industrielle en Grande-Bretagne. Les dirigeants politiques britanniques se demandent comment réinventer leur économie. Un élément positif pour le débat européen autour de la Stratégie UE 2020.

Au final, ce sont des questions de stabilité de la zone euro et donc de solidarité qui se posent avec encore plus d'acuité. La crise remet en exergue les différences de position fiscale des pays de la zone euro avant l'Euro. L'euro avait fait disparaître le différentiel de 16% sur la prime de risque que devait payer la Grèce par rapport à l'Allemagne pour s'endetter. Aujourd'hui, pourtant, la Grèce paye plus de 2,5% de plus que l'Allemagne pour s'endetter à 5 ans.

C'est de nouveau la nature même du Pacte de Stabilité et de Croissance qui est en cause, ainsi que l'échec de coordonner des mesures de sortie de crise contraignantes pour l'ensemble des Etats membres. La question de la solidarité pose toujours problème, mais le cas grec montre en quoi il est indispensable de trouver des solutions. Pour l'avenir, il serait souhaitable de mettre en place des plans nationaux pluriannuels de retour à une situation soutenable, sans oublier la dimension de solidarité inhérente à cette problématique.


3- En attendant de trouver la bonne manière de réguler, les bulles se forment. Robert Zoellick [16], président de la Banque Mondiale, nous met en garde contre les bulles spéculatives qui apparaissent ainsi sur différents marchés, notamment les bulles d'actifs sur les marchés asiatiques. Les prix immobiliers ont ainsi flambé en Chine ces derniers mois ; le prix de l'or grimpe. Les banques se mettent à pratiquer le carry trade : elles empruntent à très faible taux dans une monnaie pour financer des opérations plus rémunératrices dans d'autres devises. Le prix du pétrole a déjà doublé depuis le début de l'année ; mais quel sera son niveau lorsque la demande va effectivement reprendre alors que la crise a différé les investissements ? Autant de questions que seule une véritable coopération internationale peut traiter.

Les premières mesures commencent à être prises. En Grande-Bretagne, Alistair Darling a ainsi annoncé une super-taxe de 50% sur toutes les primes de plus de £25 000 versées aux banquiers de la City. Une mesure saluée par Trichet qui a appelé les banques à « tirer avantage de la récente amélioration pour renforcer leurs capitaux plutôt que de distribuer une large part de leur bénéfice ou de payer des niveaux immérités de rémunération ou de bonus ». Cette taxe attise la colère des banquiers londoniens qui dénoncent dans cette mesure une manière de renforcer la compétitivité de places financières rivales telles que New-York, Hong Kong ou la Suisse au détriment de Londres.

Va-t-on assister à la mort de la City et à un exode massif des banquiers comme le clament les milieux financiers britanniques ? Il y a bien peu de chances. Londres conserve de nombreux avantages comparatifs : localisation géographique, langue, législation du marché du travail avantageuse, infrastructures techniques, ville cosmopolite… Londres rassemble plus de 50% des principales banques mondiales, 45% des assureurs, et le montant des transactions quotidiennes s'élève à 1680 milliards de dollars. Si la super-taxe sur les bonus risque de faire fuir, c'est uniquement la population la plus mobile qui sera concernée d'après Megan Murphy [17] : les jeunes et les très riches.

La City risque effectivement de se retrouver en concurrence avec de nouvelles places financières. Gillian Tet [18] explique que ce mouvement de dilution est déjà lancé : Hong Kong, Shanghai ou Sao Paulo sont d'ores et déjà des pôles d'attractivité. N'oublions pas que les BRIC étaient responsables de 45% de la croissance mondiale en 2007 ! Il y a toutefois fort à parier que Londres reste la place financière de choix pour les marchés occidentaux.

En parallèle, le débat sur la régulation post-crise bat son plein. En témoigne l'adoption par le Comité de Bâle de nouvelles propositions pour renforcer la qualité et la transparence du capital de base Tier 1, et pour améliorer le niveau de capital pour protéger les établissements des activités sur les produits dérivés et les pensions livrées. Des mesures que nous ne manquerons pas d'analyser durant le premier trimestre 2010 lors de notre cycle de déjeuners-débats intitulé "supervision, stabilité financière et croissance".

Notons encore 2 problématiques remarquées dans le débat sur la régulation.

Tout d'abord, la question d'un retour au Glass-Steagall Act se pose avec de plus en plus d'acuité à Washington. Paul Volcker s'est notamment positionné en faveur d'un retour au narrow banking et a dénoncé certaines innovations financières (obligations adossées à des actifs et dérivés sur événement de crédit) comme ayant fait plus de mal que de bien. Selon lui, ces innovations ont plus concouru à redistribuer la rente au sein même de Wall Street qu'à contribuer à la croissance de productivité américaine.

Joseph Stiglitz [19] , quant à lui, estime qu'il faut démembrer les institutions "too big to fail". Sept défaillances auraient été mises en lumière, selon lui, par la crise : les banques "too big to fail" ont des incitations perverses, les institutions sont trop imbriquées entre elles, les incitations sont construites de façon à ce qu'elles encouragent une prise de risque excessive, les banques ne prennent pas en compte l'impact de leur comportement sur les autres, les méthodes d'évaluation sont mauvaises, les investisseurs mettent une pression énorme sur les banques et la régulation a échoué. Les banques "too big to fail" sont à ses yeux "too big to exist", ou alors elles doivent être lourdement réglementées, notamment en ce qui concerne les incitations. Cette solution n'est toutefois pas la bonne en Europe continentale, les modèles bancaires étant très différents.

Autre débat, autre idée : on sait que les grands actionnaires ont pris le pouvoir dans les entreprises. On le voit par exemple dans le cas Accor où, par invocation de la sacro-sainte valeur actionnariale, le groupe sera coupé en deux [20] ! Mais tout est bien différent dans les banques ! Elles ont réussi à se défendre et les investisseurs se plaignent d'enregistrer des pertes. Soit ces derniers parviennent à gagner un pouvoir dans la gouvernance des banques, soit ils peuvent être les alliés des régulateurs. Ann Lee [21] propose ainsi, en contre-pied des financiers, de donner un rôle plus fort aux investisseurs dans la régulation. Nombreux sont ceux qui dénoncent une capture des régulateurs par les régulés ! Selon Ann Lee, il faudrait donner un rôle dans la régulation aux investisseurs au sein d'un conseil international rassemblant les investisseurs les plus importants. Ces derniers maîtrisent très bien les instruments financiers et ils ont le poids économique suffisant pour faire face aux banquiers, notamment les investisseurs des BRIC ou du Moyen-Orient. Mais on pourrait ajouter qu'il n'y a pas que les investisseurs qui pourraient avoir leur mot à dire en matière de régulation, on pourrait évoquer également les investisseurs institutionnels, les syndicats des fonds de gestion….

4.Le budget 2010 de l'Union Européenne que le Parlement Européen a entériné le 16 décembre pèse 122,9 milliards d'euros en crédits de paiement, soit à peine plus de 1% du revenu national brut de l'UE et à peine 45% du budget français. Une peau de chagrin lorsque l'on prend en considération les investissements nécessaires pour créer les conditions d'une croissance durable en Europe (formation-emploi, infrastructures….). La Stratégie UE 2020 pourra se révéler aussi ambitieuse qu'elle veut, s'il manque les financements et la coordination entre Etats Membres nécessaires, elle ne demeurera qu'une lettre d'intention.

Heureusement, on voit se profiler les négociations pour le prochain budget-cadre de l'UE, qui orientera les dépenses à partir de 2013, et avec elles, on l'espère, un débat de fond sur la structure – et le montant ? - du budget européen.

Les premiers débats voient le jour, comme le montre une déclaration d'un groupe d'éminents économistes agricoles en faveur d'une "politique agricole commune pour les biens publics européens". Elle défend l'idée selon laquelle la PAC ne sera légitime aux yeux de nos concitoyens que si elle contribue efficacement à promouvoir les intérêts de la société ou encore l'idée selon laquelle le rôle de la PAC est de fournir aux agriculteurs les incitations pour qu'ils produisent les biens publics européens exigés par la société (lutte contre le changement climatique, protection de la biodiversité, gestion de l'eau). C'est un problème récurrent que de renvoyer la PAC vers un soutien à des fonctions hors production en coupant les soutiens à la production et en les renvoyant à la seule responsabilité des Etats-Membres. Ceci nous pose problème : lâcher le soutien communautaire à la production quand l'évolution des prix est aussi instable et pénalise les producteurs en bas de cycle n'est pas acceptable. La solution du problème nécessite un renforcement de la PAC sur le terrain de la formation des prix.

Plus fondamental : l'excellente initiative lancée par Alain Lamassoure [22], en sa qualité de Président de la Commission des budgets du Parlement européen, de mieux coordonner les politiques budgétaires nationales ! Afin de « brancher les débats politiques nationaux sur les enjeux européens », il propose un "grand débat annuel d'orientation budgétaire entre tous les parlements de l'Union Européenne" au printemps. Idée qui n'est pas sans rappeler la proposition visionnaire, de "conférence annuelle" faite par Philippe Herzog dans son rapport au PE de 1996 sur la participation des citoyens et des acteurs sociaux au système institutionnel de l'Union !

Les avantages de ce débat annuel seraient multiples. Tout d'abord, les Etats membres seraient tenus de préparer leurs travaux sur la base d'hypothèses communes sur la croissance, le niveau attendu de l'euro, du baril de pétrole et de l'inflation. Ensuite, il serait l'occasion pour chaque pays d'expliciter ce qu'il compte entreprendre dans son budget pour remplir les objectifs européens qu'il s'est fixés. Alain Lamassoure a ainsi obtenu d'Eric Woerth de dresser en annexe de la loi de Finances un récapitulatif des lignes budgétaires correspondant aux engagements européens de la France (recherche, enseignement supérieur, budget militaire…). Enfin, il aurait l'avantage d'encourager une appropriation des débats européens par les parlementaires nationaux. La politique budgétaire ne peut plus se décider à l'échelon national seulement. Un bon pas donc vers le renforcement de la coopération économique nécessaire à l'échelon européen ; renforcement auquel nous allons œuvrer grâce aux travaux de notre Club de députés Europe@Work !

Philippe Herzog et Carole Ulmer
21 Décembre 2009

Chroniques n°9 de Philippe Herzog

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Philippe Herzog est fondateur de Confrontations Europe

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