par Nicolas Gros-Verheyde, le mardi 31 juillet 2012

Le ministre des affaires étrangères français, Laurent Fabius, n'y est pas allé par quatre chemins, à Varsovie. Planchant devant les ambassadeurs polonais, jeudi (26 juillet), il a consacré son speech à la politique européenne de sécurité et défense commune (PeSDC), analyse Nicolas Gros-Verheyde, animateur du site Bruxelles 2, spécialisé sur l'Europe de la défense. Enonçant ce qui fonctionnait, ce qui ne fonctionnait pas, les frustrations et les espoirs, le rôle spécifique de l'UE par rapport à l'OTAN, il a tracé le cadre stratégique de cette "défense européenne".


C'est une « condition de notre autonomie stratégique, indispensable pour que l'Union européenne continue d'influer positivement, sur les affaires du monde » et un « défi majeur dans la compétition industrielle et économique globale », a-t-il énoncé.

Objectif : recoller les morceaux

Après le passage de son collègue de la Défense à Varsovie, c'est ainsi en quelques jours, le ministre des Affaires étrangères enfonce ainsi le clou. La France est de retour sur la défense européenne. On se rappelle, en effet, combien les Polonais avaient été déçus de ne pas voir vraiment repris et soutenu par leurs autres partenaires, leur volonté de relance de la défense européenne, sous leur présidence (au 2e semestre 2011). Ils prévoyaient d'en faire une des priorités de leur présidence mais avaient alors dû y renoncer pour différentes raisons. Le tropisme franco-britannique de l'époque n'y était pas pour rien… Et les Polonais en gardaient une certaine amertume. Il était donc urgent de recoller les morceaux entre Paris et Varsovie sur ce sujet.

La politique européenne de défense : des avancées contrastées

En dix ans d'existence (et d'absence du pouvoir pour Laurent Fabius) la politique européenne de défense a « beaucoup évolué ». Elle s'est « profondément transformée et de façon assez contrastée ». Il y a eu des « avancées », note le ministre mentionnant le déploiement de plus de vingt missions civiles et militaires qui ont « démontré la pertinence de cette ambition et la capacité diplomatique et militaire des Européens, et notre capacité collective à nous mobiliser pour la paix et la sécurité dans le monde ». Cependant il y a eu « pas mal de frustrations ».

Ne pas céder à la résignation du tout – Otan

Le traité de Lisbonne reste « largement inexploité dans le domaine de la Politique de sécurité et de défense commune ». Ce n'est pas tellement une question de manque de leadership, mais il y a une « sorte de résignation » constate le Ministre. « Dans plusieurs capitales, l'OTAN à laquelle nous appartenons, apparaît comme la seule en mesure d'apporter une réponse militaire à la gestion des crises, alors que l'Union européenne, elle, devrait se contenter uniquement de la gestion civile ». Un point de vue que réfute le ministre et l'ensemble du gouvernement. « Cet état d'esprit n'est pas celui du gouvernement français actuel. Nous souhaitons, nous, Français, (…) une relance de la défense européenne. » Si « l'OTAN continuera bien sûr d'être un pilier majeur de la sécurité et de la défense de l'Europe » affirme-t-il, « la sécurité et la défense de l'Europe « ne peuvent se résumer (à l'OTAN) »

L'objectif est tracé : l'autonomie stratégique

les Européens doivent se fixer comme « objectif d'assumer pleinement leurs responsabilités en matière de sécurité internationale, sur l'ensemble du spectre. nous devons pouvoir agir de manière autonome dans des situations où nos intérêts propres sont en jeu, et notamment dans des situations où les Américains, qui sont nos amis et nos alliés, ne souhaiteront pas intervenir ». Une nécessité d'autant plus actuelle à l'heure où les Américains réorientent leurs priorités vers l'Asie-Pacifique. La conséquence est immédiate. « Les Européens doivent prendre des responsabilités plus grandes dans le domaine de leur propre sécurité ».

Un enjeu économique

L'enjeu n'est pas que stratégique. Il est aussi industriel et économique. Un débat qui Se « limiter à renforcer l'Alliance atlantique aspirera l'essentiel des dépenses des Européens dans le domaine de la sécurité et de la défense. (…) cela se ferait en outre au bénéfice des seules chaînes de production américaines. » Il y a donc « clairement, pour nous, Européens, un enjeu de préservation, non seulement de notre autonomie stratégique et militaire, mais aussi de notre industrie et de nos emplois ».

Une feuille de route…

Laurent Fabius établit une sorte de feuille de route. Le renforcement des capacités européennes pour mener ces opérations est « essentiel » et il doit se faire « d'abord » dans un cadre proprement européen, explique-t-il. La coopération est « la seule solution viable » si l'on veut limiter la réduction des budgets de défense. La dynamique de mutualisation et de partage capacitaire (pooling and sharing) engagée au sein de l'Union européenne n'a eu pour l'instant que « des résultats limités » et doit être « amplifiée et porter sur des projets structurants ». Le « renforcement de nos industries de défense » est essentiel ajoute-t-il citant deux industriels l'Européen EADS et le Polonais Bumar. Et l'Agence européenne de défense doit « davantage » être utilisée.

Dans ce contexte les autres initiatives comme la « défense intelligente » – Smart Defence – menée à l'OTAN « peuvent apporter des solutions intéressantes ». Mais avertit-il, le « développement des capacités de l'OTAN ne doit pas aspirer la totalité des moyens qui sont limités ». (*).

Le quartier-général européen : une perspective et non plus une condition

Il faudra ensuite passer à la « création d'un quartier-général ». Mais dans un second temps. Le ministre parle davantage d'une « perspective légitime », précisant que les Français n'y sont « pas fermés » « Dès que nous aurons progressé sur les opérations et les capacités, il apparaîtra nécessaire de renforcer nos outils de planification et de conduite de ces opérations ». NB : ce qui est la révélation d'un certain blocage précédent au nom de l'amitié franco-britannique que nous avions évoqué précédemment sur ce blog sans que cela soit confirmé officiellement).

La coopération structurée permanente : pourquoi pas

Quant à la coopération structurée permanente, souhaitée par les Polonais, « c'est une piste que nous étudierons avec beaucoup d'intérêt dans le cadre de la réflexion que nous avons engagée sur les questions de défense » reconnait le ministre. NB : on remarque la prudence du Ministre, bien compréhensible, tant les réticences à Paris ont été nombreuses sur cette coopération structurée permanente.

Des initiatives à venir…

A l'image de l'hymne polonais qui mentionne « Bonaparte nous a montré comment se battre et vaincre », le ministre souligne que La France et la Pologne doivent « montrer ensemble le chemin à l'Europe pour nous unir et pour renforcer la défense européenne ». Et il a promis, pour conclure. « La France prendra dans les mois qui viennent des initiatives pour relancer le travail autour de la défense et de la sécurité européennes. » On attend…

(*) NB : Un point qui a suscité un débat, discret mais intense entre les Alliés avant le sommet de Chicago, opposant les Français à la plupart de leurs autres alliés sur le renforcement des capacités de l'Alliance et le financement commun

Lire sur Bruxelles 2 : http://www.bruxelles2.eu/defense-ue/defense-ue-droit-doctrine-politique/fabius-defend-la-relance-de-la-defense-europeenne-une-priorite-pour-la-france.html


Nicolas Gros-Verheyde, animateur du site Bruxelles 2, spécialisé sur l'Europe de la défense.
Journaliste, franco-hongrois, il est correspondant « Affaires européennes » du quotidien régional français Ouest-France ainsi que de La Lettre de l'Expansion, après avoir été celui de France-Soir. Spécialiste « défense-sécurité ».

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