par Jean-Guy GIRAUD, le jeudi 28 août 2014

Le 30 août prochain, le Conseil Européen devrait "adopter la liste des personnalités qu'il propose de nommer membres de la Commission" (article 17§7 TUE) (1).

Avec cette décision, le processus de re-composition des instances dirigeantes de l'Union s'approchera de son terme.


Après le renouvellement des membres du Parlement européen puis l'élection du Président de la Commission par celui-ci, les nominations des autres responsables européens (Président du Conseil européen, Haut Représentant, Commissaires) auront lieu fin août - début septembre.

Ainsi, au 1er novembre 2014, un leadership recomposé de l'Union européenne devrait être en mesure de reprendre en mains les affaires pour faire face aux problèmes particulièrement graves et urgents qui se posent à l'Union.

À l'intérieur, il s'agit surtout des sérieuses difficultés d'ordre économique causées par la crise et ses conséquences sociales - et aggravées par les doutes et les divisions sur l'efficacité des mesures prises et à prendre.

À l'extérieur, l'Union demeurera notamment confrontée aux graves conflits politiques et militaires qui se déroulent dans son voisinage (Ukraine) mais aussi, plus largement, au Maghreb et au moyen-orient.

Du point de vue institutionnel - qui seul nous intéresse ici - le premier mandat de la Commission sous l'égide du Traité de Lisbonne a été marqué par un net affaiblissement de celle-ci.

Du fait de la gravité de la situation interne et externe de l'UE, les États (ou du moins certains d'entre eux) ont pris la direction des opérations soit bi-latéralement soit au sein du Conseil européen. La Commission et le Parlement ont perdu beaucoup de leur influence et leur rôle s'est souvent réduit à attendre, critiquer ou exécuter (avec des inflexions marginales). Les résultats de cette "coopération intergouvernementale" ont été contrastés. Souvent les désaccords entre États (au rythme des changements internes de majorité ou des revirements politiques) ont freiné l'action de l'Union, retardé le règlement de questions internes et fortement réduit l'influence européenne au niveau international.

Ceci constitue la preuve - par la négative - que seules des Institutions fortes et unies peuvent donner à l'Union la force nécessaire à la réalisation de ses objectifs. Et que, parmi ces Institutions, celles qui revêtent un caractère pré-fédéral (comme la Commission, la Banque centrale, la Cour de Justice et, dans une certaine mesure, le Parlement européen) sont mieux à même, par leur permanence et leur neutralité, "d'accumuler et de transmettre la sagesse des générations" (Jean Monnet) et de défendre l'intérêt général européen.

Tout ceci pour dire l'importance - par delà les questions de personnes - du renouvellement institutionnel de 2014 qui devrait permettre de renforcer "l'effet d'Union" - c'est à dire donner à l'action collective une efficacité que l'action séparée des États ne possède plus.


Les quatre étapes du renouvellement

La première étape du renouvellement s'est déroulée du 24 au 26 mai 2014 lors de l'élection du nouveau Parlement européen. Les résultats ont été influencés par la crise économique et sociale et marqués par l'abstention et la défiance. Toutefois, les grands courants politiques traditionnels ont conservé la maîtrise du fonctionnement de l'Institution et sa "mémoire" devrait lui permettre de conserver son rôle d'entrainement de l'action collective européenne. La majorité de "droite" (concept assez souple au niveau européen) devrait demeurer en harmonie avec celle du Conseil européen et faciliter les accords ou compromis.

La deuxième étape - celle de l'élection du Président de la Commission - s'est bien déroulée alors même que ses modalités constituaient une "première" dans le développement constitutionnel de l'Union : le choix du candidat en fonction du résultat de l'élection du Parlement. La personnalité issue de ce processus - "compatible" avec les majorités du Conseil comme du Parlement - se trouve, au surplus, disposer de qualités personnelles (compétence, engagement, indépendance) unanimement reconnues.

La troisième étape sera donc celle du 30 août prochain : la désignation des candidats aux 27 postes de commissaires (2).

La composition de la Commission joue évidemment un rôle majeur dans l'efficacité de son action - même si la permanence, la compétence et la loyauté des services en demeurent la garantie. Sans l'impulsion politique du Président et des membres, l'Institution peut vite être réduite à la gestion des affaires courantes.

L'importance des qualités personnelles des membres de la Commission est d'ailleurs soulignée par le Traité. D'une manière assez inhabituelle pour un texte de nature constitutionnelle, l'article 17§3 TUE fixe les trois critères qui doivent guider le choix des commissaires : "leur compétence générale, leur engagement européen et leurs garanties d'indépendance".

S'y ajoutent - de facto - deux critères plus contestables parce que non prévus par le Traité et sans rapport direct avec l'efficience de l'institution : l'orientation politique et le genre.

Il appartiendra au Président de la Commission de décider s'il peut donner son accord à tous et à chacun des candidats "suggérés" par chaque État membre - ces "suggestions" devant elles mêmes être conformes aux critères de l'article 17§3.

Cette décision engage clairement sa responsabilité dans la constitution d'une équipe "compétente, engagée et indépendante" qu'il aura à diriger. Cette responsabilité est d'ailleurs partagée par le Parlement européen qui devra in fine "approuver" la composition de l'ensemble du collège - y compris le Président et le Haut Représentant.

L'ultime étape sera celle de "la structuration et la répartition des responsabilités entre les membres" de la Commission. Le Traité dispose clairement qu'il s'agit là de la prérogative du seul Président qui "décide de l'organisation interne de la Commission afin d'assurer la cohérence, l'efficacité et la collégialité de son action". (articles 17§6 TUE et 248 TFUE)

Le Président disposera ensuite du droit de "démissionner" tout commissaire en cours de mandat et de modifier à tout moment la répartition des "portefeuilles".

Si les mots ont un sens, il apparait que le Président est, sous réserve de l'approbation finale du Parlement européen, le maître de la formation du gouvernement de l'UE. Si bien qu'il convient de relativiser l'influence réelle des pressions qui pourraient être exercées sur lui par l'un ou l'autre gouvernement. Rien ne peut en effet obliger le Président à accepter un candidat au profil non conforme aux critères fixés par le Traité - ni le forcer à lui attribuer l'une ou l'autre fonction.

Si l'on admet que ces dispositions du Traité - qui visent clairement à garantir l'efficacité et l'indépendance de la Commission sous la responsabilité de son Président - ont pour objectif de doter l'Union d'un gouvernement capable de défendre l'intérêt collectif européen, on ne peut que souhaiter leur respect par chaque Gouvernement et par le Conseil. S'il en était autrement, le Président devrait s'interposer et, si nécessaire, solliciter l'appui du Parlement.


(1) Selon l'article 17§2, cette "proposition" incombe en fait au Conseil de Ministres et non au Conseil Européen.

(2) Pour mémoire rappelons que le Traité de Lisbonne prévoyait la réduction du nombre des commissaires (au 2/3 du nombre des États) mais que le Conseil européen a décidé (pour la deuxième fois) de reconduire pour 5 nouvelles années le principe d'"un commissaire par État membre". Il faut demeurer conscient de l'impact négatif considérable de cette décision sur l'évolution du rôle de la Commission.

Jean-Guy Giraud a été président de l'Union des Fédéralistes européens-France.

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