par Jean-Dominique Giuliani, le dimanche 26 février 2006


Le Parlement européen travaille bien.

Il travaille d'ailleurs de mieux en mieux, avec une pratique démocratique qui l'honore.

Il vient d'en administrer une nouvelle preuve lors de l'examen en première lecture du projet de directive sur les services.

Instrumentalisé par les opposants à la Constitution, les souverainistes et les extrémistes de droite et de gauche désireux de faire peur, ce texte a fait l'objet d'une instruction de deux ans, d'un vrai travail de réécriture, de contre-propositions intelligentes et d'un compromis entre les principales formations politiques. Ainsi sont rassemblés tous les ingrédients de l'équilibre, d'ailleurs confirmé par des critiques venant de ceux qui trouvent que ce projet ne va pas assez loin.

Il s'agit de faciliter l'établissement des entreprises du secteur des services dans les pays de l'Union, mais aussi de prévoir les conditions dans lesquelles leurs salariés peuvent intervenir temporairement dans un autre Etat que le leur. Depuis 1996, un texte impose que les travailleurs détachés respectent le droit social local. Mais des inquiétudes, largement injustifiées, s'étaient manifestées, spécialement en France où la peur du "dumping social" était agitée par ceux-là mêmes qui ont toujours veillé à ce qu'on ne parle pas au niveau européen d'harmonisation dans le domaine social.

En remplaçant le principe dit "du pays d'origine" par le rappel de l'objectif qu'il poursuivait, c'est-à-dire le refus de toute discrimination tenant à la nationalité autre que la nécessité (santé et sécurité publiques) et le respect de la proportionnalité d'éventuelles mesures nationales restrictives, le Parlement européen a beaucoup fait pour désarmer un mauvais procès.

Il n'en demeure pas moins qu'étendre aux services la liberté des Européens de circuler et de travailler est nécessaire à la santé de nos économies. L'Union exporte chaque année plus de 250 milliards € de services. Sa balance commerciale dans ce secteur est excédentaire de 25 milliards €. Nos économies sont des économies de services pour plus de 70% de la richesse produite. L'impact d'une ouverture du marché pourrait représenter plus d'un demi-point de Produit intérieur et plus de 600 000 emplois. Il est temps de l'engager ! Elle figure dans les premiers articles du Traité de Rome à côté des autres grandes libertés de circulation des personnes, des marchandises et des capitaux.

Certains regretteront les débats idéologiques qui n'ont pas permis d'être plus audacieux.

Félicitons-nous cependant de l'apaisement trouvé au Parlement européen. L'ampleur des querelles cristallisées autour du projet nécessitait une pacification et un retour à la raison ; il est désormais possible parce que la Démocratie fonctionne en Europe !

Le monde qui naît sous nos yeux n'a plus grand-chose à voir avec ce qu'il était il y a encore 20 ans. C'est en Asie, en Amérique latine et dans d'autres régions, représentant la moitié de la population mondiale, qu'il émerge avec un véritable esprit de compétition ; là-bas la concurrence n'est plus un gros mot, c'est un bienfait et c'est une chance!

De ces Etats-continents viennent en effet les vrais défis et la vraie concurrence. Ce n'est pas de l'intérieur de l'Union où les différences de développement ont vocation à être comblées et pour lesquelles existent, depuis toujours, des sauvegardes bien rôdées.

Nous n'avons donc pas le droit de tromper les Européens : c'est l'unification du continent européen qui est notre meilleur chance pour l'avenir, pas la re-nationalisation ou le repli frileux sur des espaces trop petits pour compter dans le monde.

Qu'on le veuille ou non, cela passe par la création d'un marché unique totalement réalisé, par l'harmonisation de nos politiques économiques et de nos conditions sociales. Dans l'histoire de l'Europe, il n'y a d'ailleurs pas d'exemple d'harmonisation à la baisse !

Depuis la Seconde Guerre mondiale, l'Europe a fait bien du chemin. Nous ne serions pas devenus ce que nous sommes, nous n'aurions pas connu l'exceptionnelle hausse de notre niveau de vie, sans l'ouverture des marchés de marchandises engagée dans les années 1960. Ce fut un véritable coup de fouet dont chaque citoyen européen a profité personnellement.

Si aujourd'hui, il est nécessaire de fixer de nouveaux objectifs de croissance et de relance économique à l'Union européenne parce que le contexte mondial a changé et de s'en donner les moyens en les adaptant à la nouvelle donne, la méthode reste la bonne. Le choix est entre la désintégration de l'Union, mais aussi de nos sociétés nationales et l'intégration plus poussée de nos Etats.

Seules la poursuite et la relance du processus d'intégration peuvent nous permettre de retrouver le chemin de la croissance et de l'emploi. Il faut avoir le courage de le dire clairement. Ces derniers temps, nous en étions loin !


Jean-Dominique Giuliani est président de la Fondation Robert Schuman 

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