La Commission a présenté en octobre une communication sur les enjeux d' "une Europe compétitive dans une économie mondialisée". Déplorant que les négociations de l'Organisation Mondiale du Commerce soient en panne, elle se prononce en faveur d'un redéploiement de la stratégie de l'Union pour mieux défendre ses intérêts.
On reconnaîtra avec la Commission que l'OMC a effectivement déçu. Traditionnellement et presque idéologiquement déconnectée de toute préoccupation sociale, peu marquée par les enjeux environnementaux, dépouillée au fur et à mesure des négociations de sujets commerciaux pourtant majeurs(investissements, concurrence, marchés publics), l'OMC n'a guère progressé pour
autant sur d'autres enjeux stratégiques pour l'Union, tels l'accès aux marchés et l'ouverture des services.
Aussi la Commission propose-t-elle, avec les précautions d'usage sur le respect toujours dû au multilatéralisme, de s'engager dorénavant dans des aproches bilatérales plus affirmées.
Pour demeurer au premier rang des échanges mondiaux, l'Union doit notamment renforcer ses positions dans les produits et les services haut de gamme, qui
représentent la moitié de ses exportations et un tiers de la demande mondiale. Elle doit parallèlement consolider la sécurité de ses approvisionnements, notamment en matières premières et en énergie.
Les cibles visées par un redéploiement bilatéral des négociations commerciales
concernent prioritairement les économies émergentes en forte croissance (Chine,
Inde, Brésil, Asean, Mercosur, Golfe). Il s'agit aussi de renforcer nos liens
stratégiques avec les économies voisines (Russie, Méditerranée) et de réussir la modernisation de nos relations avec les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) à travers les accords régionaux de partenariat économique en cours de négociation. La concertation transatlantique avec les Etats- Unis reste par ailleurs une toile de fond incontournable.
Les objectifs de l'Union sont aussi importants que divers. Il s'agit d'abord de l'accès aux marchés, y compris les marchés publics, avec un intérêt particulier pour les services. Il s'agit aussi de la lutte contre le piratage et la contrefaçon, qui portent un tort considérable et croissant à l'industrie européenne. Il faut également clarifier et simplifier les règles d'origine. Il faut enfin obtenir des engagements et des résultats vérifiables concernant un socle minimal de normes sociales, la protection de l'environnement, et l'amélioration des pratiques de gouvernance, notamment dans la lutte contre la corruption, la criminalité et les trafics en tous genres.
Cette communication de la Commission a reçu un accueil positif et, par delà l'éventail naturel des sensibilités, plutôt consensuel tant du Conseil que du Parlement. Pourtant, son point faible paraît évident. C'est celui de l'Europe elle-même face à la globalisation. Au-delà de la définition sur le papier d'une telle stratégie commune, l'Europe a-t-elle aujourd'hui les moyens, tant internes qu'externes, pour la mettre en uvre et pour la faire réussir ?
Un tel doute n'est pas près d'être dissipé.
Jugeons-en. Il faudrait en premier lieu pouvoir nous appuyer sur un marché intérieur suffisamment intégré. Il est en effet vain de prétendre obtenir de nos partenaires mondiaux des concessions que nous ne nous accordons guère entre Européens. Or, nos marchés publics (16% du PIB) et nos services (plus de 70% du PIB) demeurent très largement cloisonnés, même si un feu vert aussi tardif que timide vient d'être donné au peu qui subsiste de la défunte directive Bolkestein, tant diabolisée.
Il faudrait aussi parvenir à appliquer vraiment la stratégie de Lisbonne définie en 2000 pour reconquérir notre compétitivité.
Bien que certains pays, notamment d'Europe du Nord, aient fait de remarquables progrès en ce sens, l'Union en reste globalement très éloignée. La coordination des politiques nationales de réformes est demeurée inexistante, y
compris au sein même de la zone Euro. S'il est de bon ton d'appeler à réformer une Banque centrale européenne qui assume pourtant normalement son mandat, certes sur un mode fédéral, plus rares sont ceux qui pointent le doigt sur le seul maillon faible de l'attelage euro, l'Eurogroupe des ministres qui n'assume guère le sien et démontre ainsi clairement l'incapacité des vieilles méthodes intergouvernementales à créer un gouvernement économique européen à la hauteur de l'euro. Avec un tel décalage, on ne s'étonnera guère que le Conseil ait obstinément refusé au budget de l'Union les moyens d'une approche commune significative pour financer la recherche, promouvoir les échanges de formation, et renforcer des réseaux transeuropéens pourtant indispensables à notre compétitivité, qu'il s'agisse des transports, de l'énergie ou des télécommunications.
Il faudrait également donner auxentreprises européennes les
moyens de se ressentir comme telles, en pouvant s'appuyer sur
un environnement propice.
C'est, là encore, loin d'être le cas. La politique de concurrence conduite par la Commission à Bruxelles demeure peu sensible à cet angle d'approche et orientée en fonction de critères prioritairement juridiques, beaucoup plus que politiques, économiques, industriels ou commerciaux.
Le statut juridique de société européenne demeure embryonnaire, sans véritable
intérêt y compris fiscal, et toujours fermé aux PME. Quant au brevet communautaire, il semble avoir définitivement sombré sous le poids des querelles linguistiques, des corporatismes administratifs et d'obscurs intérêts budgétaires.
Il faudrait enfin que les Etats membres s'approprient ensemble les objectifs et les moyens d'une vraie stratégie commune dans l'accès aux marchés
mondiaux.
Pourtant, ce sont encore et toujours des missions commerciales exclusivement
nationales, aussi patriotes que concurrentes, qui visitent à tour de rôle nos
grands partenaires commerciaux. En etour, les missions de ces derniers en
Europe s'orientent et se déterminent avant out en fonction des particularités offertes ar nos différents Etats.
La persistance de nos divisions et de nos aiblesses ouvre ainsi à nos interlocuteurs mondiaux un boulevard pour nous jouer les uns contre les autres. Elle ne laisse à la Commission, flanquée d'une présidence du Conseil interchangeable tous les six mois, qu'un chemin de traverse pour défendre ce qui reste de notre solidarité. Nos bonnes résolutions européennes s'avèrent décidemment bien fragiles à l'épreuve de la globalisation.
Paru dans la Lettre d'Europe et Entreprise n°37
http://www.europe-entreprises.com