A la faveur du mois d'août, je me suis replongé dans le rapport rédigé en juin dernier par Alain Lamassoure, Ancien Ministre délégué aux Affaires européennes et député européen. Ce rapport intitulé "le citoyen et lapplication du droit communautaire" est très instructif et souligne avec clarté les difficultés rencontrées par les citoyens européens pour décliner l'Europe au quotidien.
Parmi les nombreux exemples cités dans ce rapport, il en est un qui est symptomatique de lécart pouvant parfois exister entre la théorie et la pratique. Il vise l'Europe des assurances dont l'existence relève toujours du virtuel.
En effet, "un Français peut-il assurer son véhicule en Allemagne, souscrire une assurance-vie en Espagne, ou bénéficier d'un contrat de prévoyance italien ? Oui disent les traités et la loi européenne. Non répond quasi systématiquement n'importe quelle compagnie d'assurances étrangère, sous prétexte que le client qu'elle refuse ne réside pas dans le pays de lassureur. Dédaignant la libre prestation de services permise par le marché unique, les compagnies d'assurances européennes préfèrent s'associer à des compagnies d'assurances locales.
Le refus est particulièrement mal compris en matière d'assurance automobile. Il est opposé, non seulement pour les contrats "tous risques" mais même pour les assurances en responsabilité civile obligatoire. Motif invoqué : le véhicule circule dans un autre état membre, dont lassureur ne connaît pas les procédures d'indemnisation. Mais à quoi bon parler d'espace unique si les véhicules sont contraints de changer d'assurances à chaque changement de frontières disparues ?
Certains assureurs vont jusqu'à résilier le contrat d'assurance automobile à échéance, lorsque lassuré est amené à effectuer un séjour prolongé de trois à six mois dans un autre Etat membre, y compris pour raisons professionnelles. Certaines polices d'assurance contiennent elles mêmes des clauses, parfaitement illégales, prévoyant la résiliation automatique du contrat si le véhicule reste en dehors de l'Etat membre d'immatriculation au-delà d'une période déterminée.En France, les réclamations doivent être adressées au Bureau Central de Tarification, rue de la Rochefoucauld à Paris 9° mais qui le sait ?".
Au-delà de cet exemple, Alain Lamassoure met le doigt sur une réalité beaucoup plus cruelle pour l'Union Européenne et peu élogieuse pour la France. Selon un rapport rédigé à la demande de la Commission des affaires juridiques du Parlement européen sur "Le rôle du juge national dans le système judiciaire européen", on apprend, sur la base d'une enquête réalisée au second semestre 2007 auprès de 2300 juges appartenant aux 27 Etats membres, que "Cinquante ans après la signature du traité de Rome, 10% des juges des pays fondateurs reconnaissant ne pas savoir comment accéder aux sources du droit communautaires. Aucun juge spécialisé en droit de la famille ou en droit pénal na déclaré consulter la jurisprudence de la Cour européenne de Justice. Plusieurs juges des "nouveaux" Etats membres ne savaient pas que tout le droit communautaire, y compris la jurisprudence, avait été traduit dans leur propre langue. 61% des juges interrogés navaient reçu aucune formation en droit communautaire.
Pire : dans plusieurs Etats membres, une forte majorité de juges déclaraient ne pas bien connaître la procédure préjudicielle : si les 84% des juges bulgares sont excusables, que dire des 87% de belges et des
94% de juges français ? Curieusement, les bons élèves ne sont pas parmi les pays fondateurs : il s'agit du Danemark, de l'Autriche et de la Suède."
Cette double réalité souligne, s'il en est besoin, l'impérieuse nécessité pour nos gouvernants de donner un contenu plus concret à l'Europe et d'assurer un minimum de "service après-vente" auprès des décideurs - publics et privés - mais aussi des citoyens qui ne l'oublions pas sont aussi des consommateurs quotidiens d'Europe.
On ne le répétera jamais assez, à long terme, la plus grande menace pour l'Union Européenne ne se situe pas à lextérieur de ses frontières mais en son sein. Elle réside dans un puissant virus appelé : méconnaissance. Un virus identifié de longue date mais pour lequel on attend désespérément un "patch de sécurité" fiable. !
xavier.grosclaude-Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
/>
Xavier Grosclaude est diplômé en sciences politiques et en droit communautaire. Membre de plusieurs think tanks français, il combine une double expérience des affaires européennes en France et au Royaume-Uni.