par Michel Clamen, le mercredi 28 mai 2008

Michel Clamen professeur à l'Institut Catholique de Paris et auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet, s'exprime sur le lobbying en France et en Europe


En France, le lobbying a mauvaise réputation, comment l'expliquez-vous ?

Oui c‘est un fait, le lobbying n'a pas une très bonne réputation en France car il est trop souvent assimilé au trafic d'influence. Personnellement, j'ai trois facteurs explicatifs. Tout d'abord, il faut mentionner l'importance du facteur culturel. A la différence des pays protestants décomplexés vis à vis de l‘argent et qui accordent un rôle central à la personne prise individuellement, la France a une forte culture d'intérêt général, théorisée par Jean-Jacques Rousseau, culture dans laquelle globalement l‘église catholique se reconnaît. Par ailleurs, si paradoxalement la haute fonction publique, garante de l'intérêt général, jouit en France d'un certain prestige, sa proximité avec le monde des affaires à travers des pratiques bien connues comme le "pantouflage" dans le secteur privé nuit à une juste compréhension du lobbying. Enfin, et c‘est important d'un point de vue historique, la Loi Le Chapelier en interdisant les corporations a ôté toute légitimité à l'idée de groupe de pression alors que la Constitution des Etats Unis l'a constitutionalisé dés 1791 dans son premier amendement. En France, il faudra attendre 1901 pour que les citoyens aient légalement le droit de s'associer.


Est-ce que le lobbying recouvre la même réalité et les mêmes pratiques en France et en Europe ?


La même réalité dans le but assurément, à savoir infléchir la décision d'un décideur en sa faveur qu'il soit basé à Paris ou à Bruxelles. En revanche, les logiques de pouvoirs au sein des différentes institutions françaises et européennes (Commission, Parlement Européen… ) ne sont pas identiques. Au niveau des pratiques, on note une réelle convergence dans les techniques mises en œuvre pour "lobbyer" à Bruxelles. En réalité, l'erreur à ne pas commettre à Bruxelles est de cultiver une spécificité nationale. Cela n'a aucune pertinence à l'échelon de l'Union. Dans le cas précis des Français, le fait d'être ancien élève de l‘Ena ou Polytechnicien laisse vos interlocuteurs totalement indifférents, d'ailleurs le rachat de Legrand par Schneider a montré le limites d'un lobbying auto centré sur le plan culturel.


Pour les français, lobbying rime avec entreprises du Cac 40 ? n'est-ce pas réducteur ?


Tout à fait, les organisations professionnelles, elles aussi, ont recours aux techniques du lobbying. Pour les entreprises, indépendamment du secteur concerné, Il y a incontestablement un "effet taille" qui joue. Il est difficile pour une petite et moyenne entreprise de mobiliser toutes ses ressources financières, intellectuelles…simplement pour mener un campagne de lobbying. La gestion du quotidien, et c‘est logique, l‘emporte très souvent sur l‘anticipation. On peut le regretter mais c‘est ainsi.


Quelle est l'institution cible des lobbyistes à Bruxelles ?


Le "décideur final", sauf qu‘au niveau européen il est "pluriel" avec l‘existence d'un triangle institutionnel (Conseil, Commission, Parlement Européen) au sein duquel les poids décisionnels sont à géométrie variable selon les sujets traités. De fait, il est très important de savoir quelle institution emportera la décision finale et selon quelle procédure. Sur un sujet comme l'application du droit de la concurrence, il est vain de se focaliser sur le Parlement Européen…


La suprématie du lobbying anglo-saxon est-elle usurpée ?


Non, pour les raisons culturelles évoquées précédemment. De surcroît, les cabinets anglo-saxons bénéficient d'une antériorité et d'une notoriété acquise de longue date. Toutefois, il existe de très bons cabinets français de lobbying à Bruxelles. On peut simplement regretter qu'ils soient numériquement peu nombreux et peu sollicités par les entreprises françaises !


La notion de « lobbying transparent » a t'elle un sens ?


Oui jusqu‘à un certain point dans la mesure où le lobbying relève, ne l'oublions pas, des activités stratégiques d'une entreprise au même titre que le marketing. Toutefois, une éthique bien comprise impose a minima à un professionnel du lobbying de toujours mentionner à ses interlocuteurs les intérêts qu'il défend et de pouvoir rendre compte des flux financiers engagés dans le cadre de son activité.


Les nouvelles technologies sont elles l‘avenir du lobbying ?


En tant que sujet de lobbying, je vous réponds "oui" sans hésiter car il y a des enjeux industriels, financiers, juridiques …très .importants dans le domaine des technologies de la communication. En revanche, au niveau des pratiques, si personne ne peut nier l‘apport des nouvelles technologies dans la recherche d'information la partie la plus créative du lobbying à savoir le choix des stratégies et des arguments relèvera toujours de l'humain.


Comment est structuré le marché français du lobbying ?


Il est principalement structuré autour de l‘échelon national, européen et international.

Dans un Etat fédéral l'échelon régional est important mais pas en France dans la mesure où les Régions ne sont dotées d'aucun pouvoir législatif. Au niveau national, les entreprises cotées et les organisations professionnelles sont très présentes. Elles jouent de la porosité entre le secteur public et le secteur privé.

Au niveau européen, tous les intérêts professionnels sont représentés à Bruxelles via des représentations permanentes, des fédérations européennes voire des confédérations qui sont parfois le "faux nez" d'entreprises nationales très puissantes. La défense des intérêts d'une ou de plusieurs entreprises peut aussi être confié à un cabinet de consulting.

Fait marquant, ces dernières années, on a assisté à une réelle montée en puissance des Organisations Non Gouvernementales dont les campagnes sont de plus en plus efficaces.

Enfin, outre l'Organisation Mondiale du Commerce, pour certaines entreprises comme les entreprises du médicament, il est aussi essentiel d'être présent auprès d'organisations internationales comme l'Organisation Mondiale de la Santé.


Quelles sont les qualités exigées d'un bon lobbyiste ?


Outre des connaissances générales en droit, économie et sciences politique, il faut surtout être tenace, aimer la communication et avoir le goût de la stratégie.


Peut-on se former efficacement au lobbying ?

Oui, je le pense sinon nous n'aurions pas créé à l'Institut Catholique de Paris, il y a dix ans maintenant, un Master professionnel spécialisé dans les Relations Européennes et le Lobbying. Le bon placement des jeunes diplômés et le niveau hiérarchique atteint après quelques années d'expérience témoigne de la pertinence de la démarche.

Propos recueillis par Xavier Grosclaude pour « Fenêtre sur l‘Europe » à l'Institut Catholique de Paris.

Fin





Michel Clamen est notamment l'auteur du "Manuel du Lobbying" - Dunod 2005

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