Les prochaines élections européennes auront lieu le 26 mai 2019 dans un contexte politique difficile. Fenêtre sur l’Europe a listé plusieurs pistes concrètes pour relancer la construction européenne dans une optique offensive.

A la lumière des nombreux défis (géopolitiques, démographiques, technologiques, énergétiques, écologiques...) à relever, le continent européen a plus que jamais besoin d’une Union européenne recentrée sur des objectifs réalistes et précis.

Dans un monde de plus en plus incertain, frappé du sceau de l’instabilité, l’influence future de l’Union européenne dépendra, pour beaucoup, de sa capacité à faire mieux, plus rapidement et plus efficacement. L’heure n’est plus, pour l’Union européenne, aux réflexions académiques sur sa configuration optimale, mais aux décisions politiques sur des sujets déterminants pour son avenir.

Si l’Union européenne veut toujours être au rendez-vous de l’Histoire, elle se doit de clarifier au plus vite ses ambitions. Cette clarification s’impose, non seulement pour gagner en cohésion, mais aussi pour assurer son expansion sur le plan politique, juridique et économique.

Au-delà de cette clarification, il revient à l’Union européenne d’assurer la défense et de promouvoir, partout dans le monde, les idéaux de la démocratie libérale, mais également d’imposer une nouvelle éthique du capitalisme au service du progrès humain et de la justice.


L’élaboration d’un droit européen de prévention et de lutte contre la corruption pour mettre fin à une distorsion de concurrence préjudiciable aux entreprises européennes.

La déstabilisation d’entreprises sous couvert de lutte contre la corruption est désormais un grand classique de la guerre économique.

Les poursuites engagées par les Etats-Unis d’Amérique à l’encontre d’entreprises européennes majeures l’ont toutes été sur la base de son droit interne avec un objectif simple, déstabiliser, voire acquérir des entreprises européennes de dimension mondiale en concurrence directe avec les entreprises américaines.

Après les épisodes français (BNP, Société Générale, Alcatel, Alsthom, Technip, Total demain Veolia ? ...), l’Union européenne ne peut plus rester désarmée juridiquement face à une utilisation extraterritoriale du droit américain à des fins strictement économiques, une utilisation constitutive depuis trop longtemps maintenant d’une asymétrie préjudiciable aux intérêts des entreprises européennes.

Pour mettre fin à cette distorsion manifeste de concurrence, il est temps pour l’Union européenne, en lien avec des organisations internationales comme l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE), d’édicter une réglementation européenne de prévention et de lutte contre la corruption.

L’adoption d’une telle réglementation permettrait, à titre préventif, d’homogénéiser le droit au sein de l’Union, mais surtout, à titre offensif, d’intervenir au niveau international, en confiant au Procureur européen toute compétence pour engager des poursuites contre des entreprises extra-européennes soupçonnées de corruption.

Pour être de portée globale, cette réglementation devra s’accompagner de mesures d’accompagnement dans des domaines connexes comme celui du trafic aérien. En effet, dans le cas des Etats-Unis d’Amérique, la sécurité aérienne ne saurait justifier, à elle seule, le transfert unilatéral au ministère américain de la sécurité intérieure (Department of Homeland Security) et aux agences de renseignement américaines de données personnelles sur les passagers européens dont les hommes d’affaires européens en direction des Etats-Unis, du Canada et du Mexique...


L’harmonisation du droit d’asile au niveau européen pour une meilleure gestion des flux migratoires.

La crise migratoire de 2015 a mis les pays de l’Union européenne sous tension. Elle a aussi mis en évidence un défaut de solidarité entre les membres de l’Union vis-à-vis des pays les plus exposés, comme l’Italie ou la Grèce, un défaut aggravé par la négociation surprise et unilatérale de l’Allemagne avec la Turquie en mars 2016.

Si le mécanisme de relocalisation décidé à Dublin s’est heurté à l’opposition frontale de la Pologne, de la Hongrie et de la République Tchèque, il s’est aussi heurté, pour sa mise en œuvre, à l’inertie de nombreux pays membres, alors même que les flux migratoires sont majoritairement concentrés sur moins de dix pays européens (Espagne, Italie, Royaume- Uni, France...).

Au regard du caractère inflammable du sujet migratoire sur le plan politique, l’Union européenne se doit, dans le respect des traités internationaux (notamment la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés) et les prérogatives des Etats membres, de développer des pratiques efficaces de gestion commune et d’intégration (culturelle, économique et sociale) de l’immigration légale.

Enfin, l’harmonisation du droit d’asile au niveau européen doit s’accompagner, sur le plan sécuritaire, d’un renforcement des moyens (humains, logistiques, informatiques) de Frontex (Agence Européenne des Garde-frontières et de Garde-côtes) et, sur le plan diplomatique, d’une accélération des négociations conduisant à la conclusion d’accords de réadmission avec des pays tiers pour les personnes relevant de l’immigration illégale.

Dans une approche plus prospective, l’Union européenne ne pourra pas faire l’économie d’une réflexion stratégique pour définir, à l’horizon du prochain quart de siècle, une politique européenne offensive en matière migratoire, une politique lui permettant d’anticiper et de gérer de manière collective les prochaines séquences avec efficacité. Subir n’est plus une option politique acceptable pour l’Union européenne, sauf à vouloir offrir un marchepied électoral aux démagogues de tous bords.


La constitution d’une « Force Spéciale Européenne » permettant à l’Union européenne de se projeter militairement.

Dans un monde dont l’épicentre est désormais l’Asie, l’Union européenne va devoir composer avec la montée en puissance (politique, économique, militaire) de la Chine, avec les velléités territoriales de la Russie illustrées par l’annexion de la Crimée en Ukraine, avec la multiplication des conflits régionaux, mais aussi avec le désengagement des Etats-Unis du Proche-Orient au profit de la zone indo-pacifique.

Si l’Union européenne est présente économiquement et politiquement sur la scène internationale, elle n’en demeure pas moins incapable de se projeter militairement pour protéger ses intérêts en dehors de ses frontières extérieures, par exemple, en cas de prise d’otages de fonctionnaires européens à l’étranger ou de menaces directes contre des ressortissants de plusieurs pays membres dans un pays tiers.

L’existence d’une « Force Spéciale Européenne », capable d’intervenir sous commandement exclusivement européen, avec une chaine de commandement autonome de toute alliance militaire, sur la base d’équipements strictement européens, portés en termes d’innovation par le Fonds Européen de Défense, donnerait une « conscience militaire » à l’ensemble des pays membres de l’Union.

Cette Force, coordonnée dans le cadre d’un Etat Major Européen autonome, n’aurait pas pour vocation de se substituer aux armées nationales des pays membres dont la modernisation doit rester une priorité, mais simplement de doter l’Union européenne d’une capacité de projection (air, terre, mer, cyberespace) mobilisable dans des cas très précis négociés entre l’Union européenne et les Etats membres.

La logique, qui doit prévaloir sur le sujet, doit être celle de l’addition mais aucunement celle de la soustraction, sachant que l’existence d’une « Force Spéciale Européenne » n’effacera en rien la nouvelle donne militaire créée par le retrait des États-Unis d’Amérique et de la Russie des traités sur les armes nucléaires de portée intermédiaire, nouvelle donne qui place l’Union européenne sous la menace des missiles russes...


La création d’une Agence Européenne de Prévention des Risques Immatériels (AEPRI)

L’Union européenne accuse un certain retard, pour ne pas dire un retard certain, dans la prévention des risques liés à la désinformation, notamment sur les réseaux sociaux, et aux attaques informatiques contre des opérateurs européens (privés et publics) de premier plan.

Structuration non étatique oblige, l’Union européenne n’a aucune culture de gestion stratégique de l’information et encore moins de renseignement. Or, dans un Monde soumis à un espionnage de plus en plus agressif (notamment de la part de la Chine, de la Russie et des Etats-Unis, voire d’Israël), les institutions de l’Union sont beaucoup trop vulnérables pour ne pas être des cibles.

Au-delà des attaques informatiques contre les institutions européennes proprement dites, celles menées par des pays tiers, comme la Russie pour perturber les processus électoraux au sein des pays membres de l’Union, constituent une menace directe contre la démocratie libérale européenne.

Au regard de la nature protéiforme de la menace, l’existence d’une Agence Européenne de Prévention des Risques Immatériels, capable d’avoir une vue d’ensemble du sujet en lien avec les services compétents des Etats membres, constituerait une avancée significative.

Sur le seul volet désinformation, ni les quinze experts rattachés au Service d’Action Extérieure, ni l’initiative salutaire des Décodeurs lancée en 2016 par la Commission européenne, ne peuvent aujourd’hui rivaliser avec la propagande des médias russes (Russia Today, Sputniknews... ) ou les cinq mille campagnes de désinformation orchestrées par le Kremlin (fort de huit cents trolls basés à St Pétersbourg) pour délégitimer l’existence de l’Union européenne auprès de l’opinion public européenne. 


La structuration d’un Réseau Européen d’Alerte Economique (REAE) pour la défense des actifs stratégiques de l’Union européenne.

Si un accord politique a été trouvé en novembre dernier pour l’adoption d’un cadre juridique de contrôle des investissements directs étrangers dans les secteurs sensibles touchant à la sécurité de l’Union européenne, la mise en œuvre de cet accord doit s’accompagner sur le plan humain d’une surveillance proactive de toute velléité d’acquisitions étrangères (américaines, chinoises, indienne, russe...) susceptibles de remettre en cause l’indépendance de l’Union européenne.

Pour être efficace, cette surveillance doit s’opérer dans le cadre d’un Réseau Européen d’Alerte Economique (REAE) ayant pour mission d’identifier les menaces pesant directement ou indirectement, à court ou à moyen terme, sur les intérêts économiques de l’Union européenne dans les domaines sécuritaire, militaire, agroalimentaire, sanitaire, énergétique, logistique et technologique, mais aussi agricole, pour contrer le rachat massif de terres arables au sein de l’Union par des pays extra-européens.


L’institution de la Banque Européenne d’Investissement et de Développement (BEID).

Au regard des besoins de financement pour rester dans la course mondiale, notamment dans les domaine des nanotechnologies, des biotechnologies, de l’informatique et des sciences cognitives (NBIC), mais aussi pour stabiliser le développement de pays situés dans des zones historiquement « critiques » (Europe Centrale et Orientale, zone méditerranéenne...), la fusion de la Banque Européenne d’Investissement (BEI) et de la Banque Européenne de Reconstruction et de Développement (BERD) permettrait à l’Union de disposer d’un instrument financier unique au service du futur au sein de l’Union, mais aussi au-delà de ses frontières.

L’existence de la Banque Centrale Européenne (BCE), chargée de maintenir la stabilité des prix dans la zone euro et de préserver le pouvoir d’achat de la monnaie unique, combinée à celle de la BEID, clarifierait le paysage bancaire de l’Union tout en renforçant la visibilité de l’Union dans le Monde. Retrait du Royaume-Uni de l’Union oblige, la Banque Européenne d’Investissement et de Développement serait domiciliée sur le continent à Paris.


La promotion des alliances entre entreprises européennes pour contrer la concurrence étrangère sur une base coopétitive.

Dans un Monde qui nécessite agilité et proactivité, la fusion n’est pas forcément la meilleure solution pour préserver les intérêts des consommateurs et cultiver l’innovation au sein des entreprises. Le cas Legrand, leader mondial de l'appareillage électrique, est là pour le prouver.

Certes, l’Union européenne a besoin d’entreprises leaders de taille mondiale pour affronter la concurrence internationale, notamment chinoise, mais elle ne peut pas se permettre de tuer de manière inconsidérée la diversité entrepreneuriale européenne au seul motif de devoir s’aligner sur les pratiques du capitalisme d’Etat chinois, pratiques régies par une opacité financière et une proximité endogamique problématique avec les cadres du Parti Communiste Chinois.

En revanche, dans un contexte international marqué par le retour du « nationalisme économique », il est désormais impossible pour l’Union européenne de ne pas imposer le principe de réciprocité comme préalable à la négociation de tout accord de libre-échange avec un pays tiers notamment pour l’accès aux marchés publics européens. Les pratiques de bonne gouvernance et le respect des normes, notamment environnementales, imposées aux entreprises européennes ont vocation à être partagées avec nos partenaires commerciaux.


L’augmentation des ressources propres de l’Union européenne dans une optique de dénationalisation de son budget.

Aujourd’hui, les ressources propres de l’Union européenne représentent environ 28% des recettes totales de son budget, des ressources constituées pour l’essentiel de droits de douane perçus sur les importations en provenance de pays tiers et des fonds résultant de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Pour rappel, à la différence des Etats membres, l’Union européenne ne peut prélever aucun impôt.

De fait, l’importance des contributions nationales au budget de l’Union, environ 71 % du budget, a pour principal inconvénient de placer cette dernière sous la tutelle financière des Etats membres, au premier rang desquels les « gros contributeurs » (Allemagne, France, Italie...). Accessoirement, elle offre aux citoyens européens le spectacle affligeant d’interminables sessions de négociation budgétaires avec la volonté affichée, pour chacun des Ministres des Finances, de récupérer ses « billes » lors de la fixation du cadre financier pluriannuel de l’Union.

Aussi, dans un contexte de contraction financière due à la perte de la contribution britannique et de tentatives de déstabilisation politique, l’Union européenne a tout intérêt à reprendre la main sur son budget en optant pour une nouvelle clé de répartition privilégiant les ressources propres sur les contributions nationales.

Cette reprise en main permettrait de dénationaliser le financement du budget de l’Union européenne tout en sortant définitivement de la logique régressive des rabais. Elle permettrait aussi de diversifier les ressources budgétaires de l’Union avec l’introduction de nouvelles ressources propres (taxe sur la pollution plastique, taxe sur les émissions de CO2, taxe sur les transactions financières...).


La valorisation d’une politique industrielle volontariste tournée vers la gestion de l’innovation.

Les européens n’en n’ont pas suffisamment conscience, mais l’Union européenne vit aujourd’hui sur les acquis de sa splendeur passée, c'est-à-dire sur la prospérité née de la révolution industrielle initiée au XIX° siècles, or l’émergence de technologies de rupture comme le numérique ou la robotique rebat totalement les cartes.

Le retour de la prospérité au sein de l’Union européenne ne se fera pas sans une stratégie industrielle volontariste. Seule l’industrie est un puissant vecteur d’innovation et par conséquent le pourvoyeur de services à haute valeur ajoutée.

Aucun des défis à relever en matière d’économie décarbonée ou de mix énergétique ne pourra l’être sans une industrie en phase avec les besoins du nouveau siècle. La voiture de demain sera nécessairement électrique, intelligente et connectée, avec des batteries dotées d’une grande autonomie. Or, sur ce seul terrain, l’Union européenne est déjà distancée par la Chine. Idem, dans le domaine de l’intelligence artificielle.

Si l’Union européenne n’y prend garde, nous risquons de sortir du jeu de l’innovation avant même d’y être entrés, avec une industrie européenne réduite à des activités de sous-traitance, pour des productions sans aucune valeur ajoutée, nécessitant du personnel peu qualifié.

Pour rester dans la course, avec un secteur industriel compétitif pourvoyeur d’emplois sur l’ensemble du territoire de l’Union, une mobilisation sans précédent doit être décrétée pour valoriser nos pôles d’excellence (aéronautique, microélectronique, chimie...) et investir massivement dans l’innovation pour créer les bases d’une nouvelle industrie européenne leader dans les domaines des biomatériaux, de l’hydrogène...

Des outils tels que les projets industriels d'intérêt européen commun (PIIEC) permettent à plusieurs Etats membre d'octroyer des aides publiques pour soutenir une filière. Ne pas les utiliser serait coupable car il n’y aura pas d’économie européenne puissante sans une industrie puissante !


La domestication du spatial pour assurer la compétitivité des entreprises européennes.

L’espace est d’un intérêt vital pour l’Union européenne. Elle doit, non seulement disposer de moyens autonomes de surveillance de l’espace pour savoir ce qui s’y passe, mais aussi coloniser l’espace avec des satellites indispensables au fonctionnement d’applications délivrant des services à forte valeur ajoutée aux entrepreneurs et aux particuliers.

Outre la concurrence des Etats-Unis d’Amérique, de la Chine, de la Russie, de l’Inde et du Japon, la multiplication des agences spatiales sur les cinq continents témoigne de la bataille engagée au niveau mondial pour s’assurer un accès indépendant à l’espace et une parfaite maitrise des technologies qui seront demain au cœur de la compétitivité des entreprises.

Si l’Union européenne veut demeurer un acteur majeur influent dans le domaine du spatial, elle doit impérativement conforter ses ambitions à travers une stratégie globale portée par les principaux acteurs du domaine, mais aussi par les pouvoirs publics via la commande publique sur le modèle de la NASA.

Demain se joue plus que jamais aujourd’hui avec l’avènement d’une économie de services qui prendra ses racines dans l’espace...Autant le savoir, déserter le champ de bataille spatial, c’est déserter le champs de l’avenir en obérant nos capacités de développement futur.


L’internationalisation de l’euro pour peser sur la marche du Monde via la monnaie

L’embargo décrété par les Etats-Unis d’Amérique à l’encontre de l’Iran, et les sanctions financières qui y sont associées pour tout opérateur économique y contrevenant, nous le rappellent avec brutalité, la monnaie, en l’occurrence le dollar, n’est pas qu’un simple outil de transaction commerciale, c’est aussi une redoutable arme géopolitique.

Si aujourd’hui, l’euro est la deuxième monnaie de réserve internationale après le dollar, il reste encore du chemin à parcourir pour l’imposer comme la monnaie de référence mondiale dans les transactions commerciales, notamment celles relevant de secteurs stratégiques comme l’Énergie. C’est là un objectif à poursuivre sans relâche pour la Commission européenne car il en va in fine de l’indépendance politique de l’Union.

Enfin, le rayonnement de l’euro dans le Monde, qui est déjà une réalité pour plus de cinquante pays, ne pourra être total sans investir le champs de l’innovation. A ce titre, le développement de nouvelles solutions de paiement adossées à l’euro doit être au cœur des priorités de l’Union européenne.

 

Xavier Grosclaude
Délégué Général

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